Georges Bordonove, dans son excellent Louis XIII (éditions Pygmalion, 1982), l’appelle le roi le plus mal connu de l’histoire de France. Il faut dire qu’il est à l’ombre de son père Henri IV, dit le Grand, et de son fils Louis XIV, dit aussi le Grand. Il souffre aussi de la stature historique de son ministre, le cardinal de Richelieu. Enfin, les romantiques – Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Victor Hugo – et nombre d’historiens, dont Jules Michelet et jusqu’aux très scolaires Malet-Isaac, le décrivent comme un roi à la pâle figure, affaibli par ses maux physiques et psychiques.
Un travail de plus de trente ans
L’historiographie moderne rétablit la vérité : elle redonne sa place entière au roi mais en diminuant celle du cardinal de Richelieu… Or, la grande réussite de ce règne qui installa l’État moderne, ce qu’on a appelé la monarchie absolue, et l’âge d’or du royaume de France, premier royaume du monde, est le résultat d’un travail en commun pendant plus de trente ans entre deux êtres que rien ne rapprochait et qui s’entendirent pour accomplir le mieux possible les devoirs de leur état.
Les historiens de l’enfance de Louis XIII – Georges Bordonove, Jean-Christian Petitfils –, reprenant le journal du médecin privé du Dauphin, puis du jeune roi, découvrent qu’il fut un enfant difficile mais toujours tendu dans la volonté d’être à la hauteur de ce qu’il devait être, surmontant ses fatigues, sa maladie – une entérocolite inflammatoire de type Crohn –, ses humeurs et son caractère. L’un de ses derniers mots a été : « Je ne serais pas le roi si j’avais des sentiments de particuliers. »
Les peuples ne se trompèrent pas en l’appelant le roi Juste, non plus qu’en l’associant dans la formule célèbre : « Le roi Juste et le cardinal. » Une chronique romantique a voulu remplacer le « et » qui unit le roi Juste et le cardinal par un « ou » qui les diviserait en deux camps différents. La même chronique fait jouer un rôle douteux à la reine Anne d’Autriche qui, certes, ne fut pas une épouse heureuse mais finit par être la mère de celui qu’on appela l’enfant du miracle, Louis le Dieudonné pour lequel elle ira à Cotignac rendre grâce et qui deviendra Louis quatorzième du nom.
Une histoire tissée d’amitiés
Cette amitié forgée par le travail en commun ressemble à celle qui a uni Henri IV et Sully le surintendant, Charles V et Du Guesclin, Louis VI le Gros et Maurice de Sully, construisant ensemble Notre-Dame de Paris et la basilique Saint-Denis. Une coutume romantique veut que les rois n’aient pas le sens de l’amitié et qu’ils aient même à l’égard de leurs amis un devoir d’ingratitude. L’histoire de France ne valide pas ce roman. Elle est tissée au contraire d’amitiés que rien ne dément. Le grand don de la Providence pour un roi est de lui donner des ministres et des serviteurs fidèles. Le grand devoir du roi est de savoir discerner ses serviteurs et leur donner la place qui convient.
Louis XIII sut voir en Richelieu, qu’une première ambition avait placé dans le camp de ses ennemis – celui de sa mère, Marie de Médicis, et de son favori, Concini, qu’il fit exécuter –, un homme de grand talent et de grande rigueur morale qui saura être un grand serviteur. On pourrait donner à Louis XIII le surnom donné à Charles VII « le Bien Servi ». Il n’a pas eu Jeanne d’Arc, mais il a eu Richelieu. Il ne faut pas séparer dans l’histoire ceux que Dieu a unis dans le service du royaume.
Un règne trop tôt terminé
Grâce à leur travail, la France connut non seulement la paix, mais aussi la prospérité et un essor des lettres, du théâtre et des arts qui accompagnait l’essor de la religion. « Le roi Juste » et le cardinal furent les artisans de cet essor, les deux tellement unis que Jean-Christian Petitfils pourra intituler le dernier chapitre de son livre « Le cardinal est mort, le roi se meurt… ». Son règne aura duré trente-trois ans mais il avait commencé l’année de ses 9 ans, à la mort brutale de son père assassiné. Il se termina aussi trop tôt. La régence de sa femme, Anne d’Autriche, fut d’une telle maîtrise que Louis XIV pourra dire de sa mère qu’elle était un véritable homme d’État.