Comment définir la piété populaire et quelle est son importance spirituelle ?
Cardinal Robert Sarah : Je crois qu’il faut distinguer la piété de la liturgie. Il s’agit de la manifestation du peuple de Dieu dans un contexte spirituel bien défini, où s’imposent des règles de temps et de lieu. Les Ostensions limousines, par exemple, ont toujours lieu au même moment, au même endroit, pour entrer en résonance avec la fête d’un saint local, saint Martial ou saint Léonard, entre autres. La piété est d’autant plus présente que nous savons que les saints ont connu les mêmes difficultés que nous dans la vie. Cette piété maintient une foi vécue en communauté, qui s’inscrit dans une tradition. C’est important de favoriser la piété populaire car elle permet de transmettre la foi aux enfants et de la consolider. En ce sens, la liturgie est complémentaire de la piété populaire dans l’accompagnement de ces diverses manifestations.
Comment savoir qu’il ne s’agit pas de superstition ?
La piété a besoin d’être éduquée : elle ne peut être simplement culturelle, sinon cela devient du folklore. Les prêtres doivent s’impliquer dans l’enseignement des laïcs à travers la perpétuation de traditions religieuses. Le fidèle engagé dans des manifestations de piété populaire, comme des processions, doit aussi témoigner d’un changement de vie et d’une plus grande pratique des sacrements.
Pourquoi s’est-on éloigné de la piété populaire pendant des décennies ?
Au nom de la raison. Les clercs se sont méfiés de son côté « spontané ». Or cette spontanéité fait partie de la piété populaire quand elle est enracinée dans l’effort de participer à une véritable vie chrétienne ! Il faut savoir la considérer à sa juste place, car c’est une porte pour entrer dans les mystères de la vie du Christ. Ainsi, pratiquer un chemin de croix, se flageller ou porter physiquement une croix très lourde comme on le voit parfois en Amérique latine (et en Corse, cf p14, NDLR), permet de mieux comprendre ce que le Seigneur a enduré pour nous et d’appréhender les notions de sacrifice et de réparation. Cela nous aide à entrer dans le mystère de la mort de Jésus. « Si vous ne portez pas ma croix chaque jour, vous ne pouvez me suivre », disent les Évangiles.
De même, nous pouvons nous interroger sur le fait de demander une bénédiction pour une voiture ou des animaux. Est-ce de la superstition ? Par ce geste, nous souhaitons éviter un accident et garder les animaux en bonne santé. C’est une façon de refuser que tout passe par la technique dans notre vie quotidienne. Je pense que c’est une bonne attitude.
La piété populaire témoigne d’une confiance en Dieu, elle permet de retrouver le sens de Dieu, et donne à croire qu’il peut me guérir, me nourrir, me protéger. Nous devons avoir confiance en sa toute-puissance qui n’est pas une puissance humaine mais une puissance d’amour, une puissance d’un amour inimaginable.
Dans la dévotion populaire, la foi passe par les sens ?
Oui, il faut que le corps soit impliqué. Nous sommes faits de chair et de sang, nous avons un corps qui réclame sa nourriture matin, midi et soir ! Nous devons avoir conscience que la prière se fait avec le corps, l’inclination, le fait de se mettre à genoux… Mais n’oublions pas l’intelligence, l’engagement de tout l’être qui passe par l’esprit et le cœur. S’il n’y a pas un engagement de l’âme dans le concret, la foi disparaît. Comment manifester à autrui que vous croyez en la Présence réelle de l’Eucharistie ? En participant à une procession du Saint-Sacrement !
Comment viviez-vous cette expérience de foi populaire lorsque vous étiez archevêque de Conakry, en Guinée ?
Nous avions les rogations et des processions, parfois la nuit, pour être délivrés de calamités climatiques. Je bénissais aussi les semences. C’est très important de demander, soit une bonne récolte, soit l’arrivée de la pluie pour endiguer la sécheresse. Peut-être qu’on ne sera pas exaucé, mais l’idée même de demander implique une réponse divine de l’ordre de la grâce. « Demandez toujours et vous recevrez », disent les Évangiles. Je regrette que, lors de l’épidémie de Covid, il n’y ait pas eu de procession pour être délivré de l’épidémie. Et qui en Europe a demandé à être épargné par le Covid ? Presque personne ! Il fallait pourtant interpeller le Seigneur !
La piété populaire peut-elle être vue comme une source de la Révélation ?
Non. Dieu s’est révélé à Abraham, puis à Moïse. Dieu a besoin que nous l’aimions pour qu’il nous sauve. Dieu ne passe pas par le peuple indistinctement. Il utilise en revanche une personne pour continuer son œuvre. Il s’est servi de son Fils, puis son Fils a appelé douze personnes pour perpétuer son nom. Une Église « populaire », cela n’existe pas. L’Église est hiérarchique mais si on supprime la piété du peuple, progressivement, sa foi s’étiole et disparaît. La manifestation publique que Dieu marche avec nous ne sera plus visible. Mais j’insiste, cette piété populaire doit être encadrée, guidée. Le peuple doit être formé.
Pour aller plus loin :
- La renaissance des Ostensions limousines
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Vie conjugale : une école ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies