Peut-on faire confiance aux sondages qui prétendent mesurer le degré de foi de nos compatriotes, évaluer le nombre de ceux qui croient au Ciel et de ceux qui n’y croient pas, pour reprendre la formule d’Aragon ? Je me souviens des réserves d’un de nos plus éminents spécialistes en sociologie religieuse, le Père Serge Bonnet. Car la foi ou l’absence de foi relèvent du for interne et ne s’explicitent pas de façon aussi évidente qu’un choix politique, par exemple. Par ailleurs, il faudrait donner un contenu aux mots. Qu’est-ce que la foi ? Il existe en effet différentes cultures religieuses qui n’ont pas la même conception de Dieu et de la relation que l’humanité peut avoir avec Lui.
Cela n’empêche évidemment pas que la récente enquête de l’IFOP sur la foi religieuse des Français ne reflète des tendances générales dont nous devons tenir compte. Ainsi, depuis 2021, la croyance en Dieu aurait reculé de 49 à 42 %. Je ne retiendrai que cette seule donnée, le détail de l’enquête réclamerait trop d’analyses à propos des tranches d’âge, des différences de sexe ou d’opinion politique. Que penser de cette régression continue de la foi religieuse au cours des dernières décennies ?
On parle beaucoup d’un phénomène de sécularisation qui, depuis l’âge des Lumières, aboutirait à la disparition inéluctable de toute forme de religion. Mais c’est faire bon marché des complexités de l’histoire. Ainsi, selon les spécialistes, il y a eu plusieurs christianisations du territoire français.
Crises et renouveaux
Le XVIIe siècle, que l’historien Daniel-Rops appelait « le siècle des âmes », marque une reprise de l’évangélisation après les catastrophes des guerres de Religion. De même, le XIXe siècle marque un véritable renouveau de l’Église catholique après la période révolutionnaire qui s’est voulue explicitement entreprise de déchristianisation. De façon plus générale, comme le notait Dom Guy-Marie Oury dans son Histoire de l’évangélisation (Éditions C. L. D.) : « Avances et reculs, mobilisation et démobilisation, effort et relâche, l’histoire de l’Église en est faite : non seulement les générations se suivent et ne se ressemblent pas, mais les mêmes hommes peuvent se laisser et se reprendre. » Comment évaluer le degré de ferveur même dans les périodes de régime de pleine chrétienté ?
Tout cela n’empêche pas qu’il y a un problème propre à notre époque. L’ouvrage de Guillaume Cuchet publié en 2021, Comment notre monde a cessé d’être chrétien (Seuil), a été l’occasion d’un réexamen sérieux d’un phénomène encore mal identifié. D’autres travaux, comme ceux de Patrick Buisson (La fin d’un monde, 2021, Décadanse, 2023), ont contraint à revisiter notamment la période conciliaire liée à l’évolution des mœurs avec de nouveaux moyens d’évaluation, que l’on avait délibérément ignorés, forts d’une confiance aveugle dans une évolution émancipatrice.
Disparition du catéchisme
Mais pour évaluer plus spécifiquement le degré d’adhésion au christianisme de nos contemporains, on ne peut échapper à l’importance de leur connaissance de la Révélation. Et de ce point de vue, on est bien obligé de constater une perte progressive à mesure que s’éloigne la possibilité d’un accès à cette Révélation. Lorsque l’ensemble des jeunes générations fréquentait le catéchisme des paroisses, tous pouvaient se déterminer en connaissance de cause. Et ceux qui abandonnaient la pratique sacramentelle après la communion solennelle n’en gardaient pas moins les notions essentielles leur vie durant. Il n’en va plus de même, depuis que le dispositif ecclésial n’est plus en mesure d’assurer l’enseignement nécessaire. D’où l’urgence d’une nouvelle évangélisation lancée par Jean-Paul II.