Maritain ultramoderne ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Maritain ultramoderne ?

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Jacques Maritain (1882-1973), vers 1930.

Jacques Maritain (1882-1973), vers 1930.

Cinquante ans après sa mort, le nom de Jacques Maritain reste inscrit dans une certaine mémoire catholique cultivée. Il a des disciples fervents. On a à disposition ses œuvres complètes aux éditions universitaires de Fribourg et aux éditions Saint-Paul. Il faut signaler aussi le grand travail de documentation réfléchi accompli par Michel Fourcade dans sa thèse désormais publiée (Feu la modernité. Maritain et les maritainismes, en trois tomes, éditions de l’Arbre bleu).

Mais la présence du penseur, toujours aux frontières de la philosophie et de la théologie, n’est plus aussi évidente qu’elle ne l’a été de son vivant. Ce n’est pas tellement qu’il ait eu à subir l’inévitable purgatoire que l’on évoque pour la plupart des écrivains après leur mort. C’est aussi que Maritain demeure lié à certaines problématiques de son temps, qui ne sont plus celles d’aujourd’hui. Et cela en dépit de sa volonté de concilier tradition et modernité, théocentrisme et humanisme, morale naturelle et démocratie.

Une troisième voie utopique ?

Que dirait aujourd’hui l’auteur d’Humanisme intégral des ravages du wokisme, du mariage pour tous et de ses conséquences sur la filiation, du suicide assisté, de toute la rhétorique onusienne qui impose au monde entier ses nouvelles normes éthiques ? Pourrait-il encore dessiner une sorte de troisième voie, accomplissant la synthèse de l’idéal de chrétienté et d’un « humanisme purifié » ? Il est vrai que tout ce qui s’est toujours réclamé chez lui d’une solide conviction antimoderne trouverait dans notre actualité de quoi s’insurger et développer une contre-offensive à la lumière de la foi et de la pensée de saint Thomas d’Aquin.

Anti-civilisation

Dans la mesure où Jacques Maritain s’est voulu théoricien politique, on peut estimer qu’il s’est enfoncé, sinon fourvoyé dans une impasse, non pas parce qu’il aurait choisi une voie spéculative erronée, mais parce que l’évolution historique n’a pas correspondu à son attente de conciliation. Moyennant quoi, ceux qui s’inspirent de lui aujourd’hui ne peuvent que suivre ce qui, chez lui, était mise en accusation d’une certaine modernité. Ils ne peuvent être que contestataires de l’anti-civilisation qui sévit dans le monde démocratique. Entendons-nous ! Maritain ne renierait pas ce qui demeure d’anti-totalitaire et de garde-fou des libertés dans le monde occidental, et notamment dans la grande démocratie américaine dont il appréciait le goût des libertés locales. Mais il se reconnaîtrait entièrement dans la ligne des papes contemporains contre la culture de mort.

« Pèlerin de l’absolu »

Il y a bien autre chose à retenir et à méditer d’un labeur aussi considérable ! Moi-même, en puisant dans le souvenir de mes années de formation, je retrouve la marque indélébile d’heures de lecture de grands livres comme Les degrés du savoir.

Ce Maritain-là n’est pas seulement le disciple moderne de saint Thomas d’Aquin. C’est le jeune converti dans le sillage de Léon Bloy, le « Pèlerin de l’absolu ». C’est le disciple du Père Clérissac qui lui a donné son amour de l’institution ecclésiale, en dépit de ce qu’il appellera les fautes de son personnel. C’est l’auteur du Paysan de la Garonne, inflexible face aux errances de la période post-conciliaire. C’est le vieil homme, qui après le décès de son épouse bien-aimée, Raïssa, termine sa vie chez les Petits Frères de Jésus, en adoptant leur règle religieuse.

Maritain n’est donc pas seulement un grand nom du catholicisme au siècle dernier. Il en a vécu, certes, tous les affrontements. Mais ce qui demeure de fécond dans tout ce qu’il nous laisse, c’est la conviction qu’au-delà d’un modernisme défaillant, il y a un christianisme qui sera toujours « ultramoderne ».