La chronologie voudrait qu’après Saint Louis, petit-fils de Philippe Auguste, nous évoquions cette semaine Philippe le Bel, petit-fils de Saint Louis. Aussi pieux que son grand-père mais conduit par les nécessités de son devoir politique à s’opposer au pape Boniface VIII et à condamner l’ordre du Temple, il a laissé l’image du père des « Rois maudits », figure bien injuste par rapport à la réalité historique.
Mais les hasards de la recherche m’ont conduit jusqu’au livre de Jérôme Carcopino, Aspects mystiques de la Rome païenne, que l’Artisan du livre publia à Paris en 1942 dans une très belle édition.
On ne sait ce qu’il faut admirer le plus entre le souci d’érudition précise de l’auteur et son sens de la synthèse. On y trouve surtout des rapprochements étonnants entre ce que vécut Rome sur le plan moral et religieux et nos mœurs actuelles.
Les vertus oubliées des vestales
Sous la République, puis sous l’Empire, arrivèrent régulièrement par la voie de l’Afrique du Nord et de Carthage des cultes et des philosophies portés par le prestige de la langue grecque et la fascination pour la mystique de l’Orient. Ces cultes apportaient aussi avec eux des mœurs qui contrastaient avec la gravité et la noblesse de Rome : sacrifice d’enfants, homosexualité affichée et pratiquée publiquement, notamment dans les cultes de Cybèle et Cérès qui incarnaient la Terre, mère des Dieux et dont le grand prêtre Attis était un homme châtré de sa virilité – on dirait aujourd’hui déconstruit –, efféminé et lubrique…
Jérôme Carcopino décrit l’intégration de ces cultes dans l’Empire et leur nécessaire purification qu’imposèrent les gouvernements de Rome, notamment l’empereur Claude.
Au début du christianisme, les efforts des apologistes chrétiens – saint Augustin, saint Justin, Tertullien, Origène, Lactance… – furent tendus vers la démonstration que la religion chrétienne n’avait rien à voir avec ces mœurs orientales, mais que sa propre mystique incluait une morale qui, non seulement ne mettait pas en péril la société, mais au contraire était la seule à pratiquer les vertus qui avaient fait la grandeur de Rome.
On voit sainte Cécile déclarer à son procès que seules les chrétiennes pratiquent les vertus que les vestales ont oubliées : chasteté, discipline, piété, etc. Dans sa préface, Jérôme Carcopino précise : « La Rome païenne ne cessa de répondre à la vocation mystique dont Michelet fut seul chez nous à la déclarer capable. Plus qu’aucune autre cité du monde antique, elle a développé des formes religieuses qui annoncent, sollicitent le triomphe du christianisme. Son formalisme un peu sec a fini par s’épanouir en une grave discipline qui a préparé celle de l’Église. Ses dieux sans mythologies, simples personnifications des forces éparses dans l’Univers, l’ont disposée à rechercher, au-delà du polythéisme des Grecs la spiritualité incluse dans leurs mystères et leurs philosophies. »
On ne peut trouver meilleure illustration de la formule de Charles Péguy dans Ève, quand il présente Jésus récapitulant tout le monde ancien, et particulièrement les Romains : « Les pas des légions avaient marché pour Lui. »
La vocation de Rome, qui prépara la Terre sur le plan politique et militaire à l’expansion de l’Évangile, trouve ici une dimension mystique qu’il est utile de rappeler.
Pour aller plus loin :
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
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