De nos jours, les conversations ne cessent de porter sur les hommes et la masculinité. Tout le monde semble se demander : « Qu’est-ce qui arrive aux hommes ? » Depuis les débats transgenres et le mouvement Me-Too, jusqu’aux préoccupations sur les perspectives économiques et maritales des jeunes hommes (surtout ceux de la classe ouvrière) et les implications politiques de leur détresse, notre culture est saturée de questions en rapport avec la masculinité. Un tas de questions, un tas de débats, mais bien peu de réponses.
Il y a ceux qui traitent la masculinité comme une simple construction, dénuée de tout contenu fondamental. Le seul objet de la masculinité – attention, non pas un objet essentiel mais purement pratique – est de s’assurer le pouvoir dans les intérêts d’une classe d’oppresseurs. Le fort domine le faible. Les sportifs malmènent les binoclards au lycée. Les mecs macho maltraitent les femmes et les prennent de haut. Vous voyez l’idée.
Ensuite il y a ceux qui, souvent par méfiance envers les allégations de toxicité mentionnées ci-dessus, affirment leur masculinité comme une collection de traits physiques ou psychologiques particuliers : force physique, assurance, confiance en soi, discipline, aptitude à diriger, stoïcisme, domination, esprit de compétition, etc. Poursuivez ce type de réflexion assez loin, cependant, et l’addition des morceaux est inévitablement moins probant que le tout. La masculinité-en-tant-que-choix-de-style-de-vie n’est pas un sujet plus intéressant que la masculinité comme outil d‘oppression patriarcale.
Pour être honnête, aucune de ces opinions n’est totalement fausse. Les hommes en vérité, ont tiré parti de certaines forces et d’avantages sociaux pour maltraiter les femmes. Et il y a certains traits et qualités qui sont et devraient être associés à la masculinité – juste comme il y a certains comportements et certaines qualités qui ne sont décidément « pas viriles ».
Maintenant, comme la plupart des hommes que je connais (en tous cas ceux que je considère comme de bons exemples de ce que veut dire être un homme) je ne passe pas vraiment beaucoup de temps à réfléchir à ce que cela veut dire « être viril » ou à me préoccuper de masculinité. La vérité est que je trouve en général que les discussions à propos de masculinité sont quelque peu ennuyeuses et excédantes.
Il se trouve que j’ai été invité le mois dernier à parler à un groupe d’élèves de l’université – surtout des jeunes hommes – sur le sujet : « une masculinité saine ». Aussi ai-je fait une pause dans ma longue habitude de ne pas penser à la « masculinité saine », pour réfléchir à quelles perles de sagesse ou quel aperçu je pourrais offrir à ces jeunes. J’ai trouvé trois points.
Premièrement : Après mûre réflexion, pour autant que je sache, une masculinité saine est juste ce qui advient quand un homme vit vertueusement. Voilà. Un homme vertueux, par le simple fait d’être vertueux, vit sainement sa masculinité. (En fait, c’est contenu dans le mot vertu : il vient du latin virtus, qui fait référence aux qualités propres à un vir, un homme.)
Ceci pourrait sembler particulièrement simpliste, mais ça ne l’est pas. Remarquez que l’inverse n’est pas toujours vrai. Parmi ceux qui s’efforcent d’avoir une « masculinité saine » comme but, tous ne vivent pas vertueusement. Si nous voulons une masculinité saine, efforçons-nous d’enseigner aux jeunes la vertu : le reste prendra soin de lui-même. Mais si nous disons à de jeunes hommes qu’ils doivent faire preuve d’une « masculinité saine » et ensuite échouons à leur enseigner la vraie vertu, nous les établissons dans la confusion et l’échec.
Deuxièmement : La paternité fait l’homme. On ne peut pas concevoir la masculinité sans avoir la paternité comme référence première. Il est évident que les hommes ne vivent pas tous la paternité de façon biologique. Mais tous les hommes sans exception sont faits pour la paternité. Je connais des prêtres célibataires qui sont des pères formidables. Je connais des hommes mariés sans enfants, ou avec des enfants adoptés, qui sont des pères épatants. C’est pour de bonnes raisons que saint Joseph est le patron des pères.
Quelle que soit la force physique ou morale d’un homme, elle lui est donnée pour pouvoir mieux servir ceux qui lui sont confiés. Cela se voit concrètement dans les manquements : il n’y a rien de moins viril, rien de plus absolument contraire à l’éthique de la paternité qu’un homme qui profiterait, abuserait ou maltraiterait des femmes ou des enfants.
Troisièmement : La paternité est une condition finale. Comme toutes les vraies vocations, la paternité trouve son accomplissement en donnant sa vie au service des autres. Un père aime sans conditions, même s’il sait qu’il va diminuer tandis que ses enfants vont grandir et croître. Mais la paternité ne concerne pas seulement le sacrifice de soi.
La plupart d’entre nous apprennent ce que c’est que d’être père d’abord de leur propre père. Comme enfants, nous apprenons que nos pères sont invincibles, omniscients, tout puissants, géniaux, tout amour. (Rien que la façon dont maman contemple papa ne pourrait être moins que cela !) Au fur et à mesure que nous prenons de l’âge, nous apprenons mieux. Nous sortons de cette vision que nous avons de nos pères. Nous apprenons que nos pères sont – espérons-le – de très bonnes personnes, mais ne sont que des personnes comme tout le monde. Faillibles, imparfaits, mortels.
Puis, en tant qu’hommes (je m’adresse ici aux hommes) nous devenons pères à notre tour, et la vision de la paternité change à nouveau. Si mon père n’était pas parfait, Dieu sait que je ne le suis pas non plus ! Mais mon petit enfant ne le sait pas. Pas encore.
Ensuite, cela commence à être assimilé. Cette première image du père – invincible, omniscient, tout puissant, tout amour – voilà la vraie paternité. Je peux n’en être qu’un vague reflet. Mais cela ne veut pas dire que ce n’est pas réel. Il y a vraiment un Père qui est comme cela. J’ai connu cet amour. De façon incroyable, en dépit de toutes mes faiblesses, mes imperfections et mes égoïsmes, Il m’a permis de goûter juste une trace de ce que c’est que d’aimer comme Il aime. Et Il m’a permis, m’appelé, à montrer un aperçu de cet amour à mes propres enfants. Cela rend plus humble, et c’est passablement terrifiant.
C’est ce que je veux dire par : la paternité est une condition terminale. La paternité n’est pas juste « jusqu’à la mort ». Elle vise quelque chose ; elle se dirige quelque part. Elle désigne Quelqu’un qui n’est pas moi. C’est une chance imméritée de participer à l’Amour de Dieu le Père. Une chance d’être, pour quelqu’un d’autre, une vitre à travers laquelle, même si c’est un peu obscur, il peut avoir un aperçu de Lui. Cela rend humble et c’est passablement terrifiant, et merveilleux au-delà de toute mesure.
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Jean-Paul Hyvernat
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- L'itinéraire intellectuel de Gérard Leclerc