Dans l’homélie de la messe d’ouverture du conclave, Benoît XVI avait critiqué les défaillances de l’Église et le relativisme. Peut-on dire qu’il s’agit d’une des lignes de force de son pontificat et de sa vie ?
Gérard Leclerc : Cette question du relativisme précède largement l’accession de Joseph Ratzinger au siège de Pierre. Dès la période postconciliaire, le théologien s’est insurgé contre une tendance redoutable qui voulait substituer à la doctrine définie à Vatican II des approches idéologiques étrangères et même contraires à la foi. À ce sujet il importe de se référer au discours prononcé en 1966 à Baumberg où celui qui avait joué un rôle important à Vatican II s’insurge avec vigueur contre certaines évolutions: « Disons-le ouvertement, il règne un certain malaise, une atmosphère de désenchantement et de déception. Pour les uns, le concile n’est pas allé assez loin […] pour les autres en revanche, l’abandon de l’Église à l’inculture d’une époque et son obstination à privilégier le terrestre dont l’éclipse de Dieu est la conséquence, est scandaleux. Ils voient comment ce qui était pour eux le plus sacré est ébranlé et se détournent avec consternation d’un renouveau qui semblait un christianisme au rabais, là où il faudrait un surcroît de foi, d’espérance et d’amour. »
Il s’agit là d’un vrai signal d’alarme, qui inaugure le combat constant de celui qui va accéder progressivement aux plus hautes charges dans l’Église. La mise au point solennelle établie par Benoît XVI dans son discours à la Curie romaine du 22 décembre 2005 confère un statut doctrinal qu’on pourrait dire définitif pour conclure les incertitudes qui avaient accompagné la période post-conciliaire. En distinguant une herméneutique de la continuité d’une herméneutique de la rupture, Benoît XVI signifie qu’il n’y a pas de nouvelle Église surgie lors des années soixante mais un développement qui s’inscrit dans la continuité traditionnelle de l’Église.
Ce faisant il s’inspire d’un de ses maîtres, le cardinal John Henry Newman, l’auteur d’un traité décisif : Essai sur le développement de la doctrine chrétienne.
Les médias présentaient Benoît XVI comme un pape « conservateur ». Or, comme peritus , « expert théologique », il a pris une part active au concile Vatican II et à l’aggiornamento de l’Église. Quel rôle joua-t-il à l’occasion du concile ? Et quelles leçons en tira-t-il ?
Le rôle joué par le jeune théologien à Vatican II – en 1962, il a 35 ans – est considérable. Un des mérites de la longue biographie écrite par Peter Seewald est d’en apporter la démonstration précise. Mais ce rôle ne s’explique qu’en vertu du travail colossal accompli par le professeur que le cardinal Frings a choisi comme conseiller personnel pour le concile. Il est largement le cadet des autres théologiens qu’il côtoie dans les commissions de Vatican II, comme de Lubac, Congar, Daniélou ou encore Rahner.
Il a eu la chance d’être à l’école de ces grands aînés dont il a beaucoup appris. Mais lui-même s’est livré à une recherche approfondie de la tradition des Pères et des grands médiévaux, comme Bonaventure et Thomas d’Aquin, et il est alors en mesure d’apporter des mises au point primordiales dans la rédaction des grandes constitutions conciliaires.
Peter Seewald explique qu’au moment de la quatrième session de Vatican II, Ratzinger se rend compte des dangers de dévoiement du concile, qui est sensible à Rome même, dans ce qu’on a pu appeler « le concile hors les murs ». Mais les choses vont s’aggraver considérablement dans les mois et les années qui vont suivre et cela va amener le jeune théologien à se solidariser aux Lubac, Daniélou, Balthasar lorsque ceux-ci désavoueront la ligne de la revue Concilium, où s’exprime notamment Hans Küng. En réaction à Concilium sera créée Communio où Ratzinger pourra s’expliquer largement sur la ligne doctrinale qu’il convient de défendre et d’illustrer.
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