Il y a un étonnant paradoxe de Noël, cette grande fête chrétienne extraordinairement populaire, alors qu’elle se fonde sur un extraordinaire mystère. Fête de la naissance, elle ne peut que susciter le ravissement de tous les âges, toujours admiratifs de l’avènement d’un tout-petit. Mais ce tout-petit de la crèche, il suscite aussi l’admiration du Ciel, avec le chant des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la Terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2, 14).
Et c’est un ange qui fait l’annonce aux bergers : « Rassurez-vous, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui dans la cité de David, un Sauveur nous est né, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2, 10-11). Ainsi, à travers les bergers, le caractère populaire de Noël est-il un fait initial qui peut expliquer comment une tradition a pu se perpétuer jusqu’à nous, notamment grâce à la crèche de saint François d’Assise.
Mais c’est l’identité du nouveau-né, révélée par les anges, qui suscite cette ferveur particulière. Cette ferveur ne peut être détachée de l’étonnant mystère de l’Incarnation, dont les théologiens n’ont cessé, en 2 000 ans d’histoire du christianisme, d’explorer la doctrine. Doctrine qui se trouve exposée de la façon la plus synthétique mais aussi la plus irrécusable dans le prologue de l’Évangile de saint Jean : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. » Le concile Vatican II, dans sa volonté d’exprimer le plus largement possible les richesses de la Révélation, ne pouvait que revenir sur le thème essentiel de l’Incarnation : « Après avoir de fait, à bien des reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu “en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils” (He, 1-2). Jésus Christ donc, Parole faite chair, “homme envoyé vers les hommes”, “prononce les paroles de Dieu” (Jn 3, 34) et consomme l’œuvre salutaire que la Père lui a donné à faire (Jn 3, 34) » (Constitution Dei Verbum 1, 4).
Le Père de Lubac, commentant cette constitution conciliaire, note que la Révélation de Dieu lui-même, si elle devait avoir lieu, ne pouvait avoir lieu que par le Fils et qu’il ne pouvait y avoir d’autre voie que le Fils pour conduire au Père. Grégoire de Nysse n’avait-il pas expliqué qu’au terme de l’annonce prophétique est venu celui qui est « le parfait resplendissement de la Lumière ».
Profondeur du mystère
La réflexion dogmatique s’est aussi longuement interrogée sur cette étonnante union hypostatique du Verbe et de l’humanité en Jésus. Les hérésies n’ont d’ailleurs pas manqué pour fausser la perception de cette donnée première de la foi (voir p. 26). Mais faut-il être docteur de l’Église ou grand théologien pour percevoir la profondeur du mystère ? Non, car c’est la foi reçue par tout baptisé qui permet d’accéder à la personne du Christ et à sa mission. Aussi ne convient-il pas de sous-estimer, encore moins de mépriser, la ferveur qui s’attache à la contemplation de la crèche. Ce que certains scrutent avec toutes les données de l’Écriture et de la Tradition, le peuple chrétien le perçoit intuitivement, parce qu’il sait que dans l’enfant de Bethléem résident son Salut et la cause de sa joie. Le cri même de « Noël » reflète, à travers les âges, la joie sans mélange d’une humanité restaurée dans la grâce.