Il y a de cela bien des années, durant ma troisième année d’université, j’ai lu The Path to Rome (Le chemin de Rome) d’Hilaire Belloc, un livre délicieusement perspicace. Ecrit en 1902, il raconte le pèlerinage que Belloc a effectué à pied (du moins pour la majeure partie), de son domicile français jusqu’à la Ville Éternelle. Belloc s’est embarqué dans cette aventure parce qu’il avait été enthousiasmé par une merveilleuse statue de la Vierge qu’il avait découverte dans une église parisienne. Une œuvre d’art a suscité et accompagné son chemin vers Rome.
L’année même où j’ai lu Belloc, je suis tombé sur une œuvre d’art qui a guidé et enrichi mon propre voyage. Lequel n’a pas été un périple épuisant d’un millier de kilomètres. Mais il a eu son propre petit parfum d’aventure.L’image qui m’a accompagné durant plus de soixante ans est celle d’une magnifique sculpture en pierre de la basilique Sainte-Marie-Madeleine à Vézelay, en France. On entre dans cette église du XIIe siècle via un porche, surmonté, au-dessus de l’entrée principale, par une représentation monumentale de l’Ascension du Christ Ressuscité. Ses mains surdimensionnées répandent les rayons du Saint-Esprit sur les Apôtres.
Cette image du Christ Dispensateur de l’Esprit m’a frappée comme d’inspiration particulièrement johannique. Dans ma propre méditation, elle semble faire usage de trois passages cruciaux de l’Évangile de Jean.
Dans le chapitre sept de son Évangile, Jean relate la présence de Jésus à Jérusalem pour la Fête des Tabernacles. Il enseigne dans le Temple et entre en conflit avec les Pharisiens. Le dernier jour de la Fête, Il proclame solennellement que ceux qui croient en Lui recevront une eau vivifiante. Le narrateur clarifie le sens : « Jésus disait cela pour parler de l’Esprit que ceux qui croyaient en Lui allaient recevoir ». Puis ensuite, dans un des passages les plus énigmatiques de l’Évangile, Jean ajoute : « car jusqu’alors l’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jean7:39). Le grec est encore plus abrupt : « il n’y avait pas encore l’Esprit ! »
Le lecteur est alors préparé à découvrir un lien intime entre la glorification de Jésus et le don sans réserve de l’Esprit. Mais le scandale permanent de l’Evangile (pour les Juifs, les Grecs et pour chacun d’entre nous) est que l’heure de la glorification de Jésus est l’heure de la Croix. Tous les « signes » merveilleux que Jésus a accomplis au long de l’Évangile (de Jean) – depuis les noces de Cana jusqu’à la résurrection de Lazare sont couronnés par son « heure de glorification ». De fait, nous lisons à la fin du Récit de la Passion : « Jésus dit : ‘tout est accompli’, et inclinant la tête, Il remit paredoken l’Esprit » (Jean 19:30).
Le fruit de cette « remise », de cette transmission de l’Esprit – la plus profonde signification de la « tradition » dans l’Église – est montré plus loin dans l’apparition du Ressuscité « le soir du premier jour de la semaine ».
Jésus rencontre ses disciples découragés et anxieux, leur apportant paix et pardon. Et « Il souffla sur eux en disant : ‘recevez l’Esprit-Saint’ ! » (Jean 20:22). Ainsi que jubile une ancienne prière de la liturgie ( « prière sur les dons » de la messe du samedi avant la Pentecôte) : « c’est l’Esprit-Saint lui-même qui est le pardon des péchés ! »
Ces trois passages cruciaux – pas encore l’Esprit, remise de l’Esprit, partage de l’Esprit – forment l’arrière-plan de la sculpture de Vézelay et de notre propre appropriation de la foi née de la Pentecôte. L’œuvre suscite sur le plan esthétique ce que l’Évangile effectue sur le plan narratif : conduire l’auditeur ou le spectateur dans une relation vivifiante avec le Seigneur, l’invitant à demeurer dans le Christ et dans la puissance de l’Esprit, à partager l’Évangile pour la vie du monde.
Le Seigneur ressuscité exhalant l’Esprit, l’insufflant dans ses disciples, rappelle la description dans la Genèse du Seigneur Dieu « formant l’homme de la poussière du sol et soufflant dans ses narines le souffle de vie » (Genèse 2:7). Tragiquement, dès Adam et Eve, la vie dans l’Esprit a été rejetée et la relation rompue. Mais l’Esprit de Dieu se tenait toujours prêt à réparer la rupture, inspirant les amis de Dieu et les prophètes jusqu’à ce que, les temps accomplis, Dieu envoie Celui qui est plus qu’un ami ou un prophète, mais est le Fils Unique engendré par le Père. Jésus, le Fils du propre cœur de Dieu, n’est pas seulement porteur mais dispensateur de l’Esprit.
De ce fait, le Huitième Jour, Jésus ressuscité inaugure la création nouvelle, le véritable novus ordo seculorum. Le Nouveau Testament tout entier est imprégné de ce sens de la nouveauté que Dieu a accomplie à travers Jésus-Christ, crucifié par les hommes mais ressuscité à une vie nouvelle et maintenant assis à la droite de Dieu.
Mais il y a encore plus. Car l’humanité n’est pas seulement réceptrice de l’action créatrice et rédemptrice de Dieu. Nous sommes appelés à un engagement actif, à être participants de la vie même de Dieu. Nous somme appelés à la communion koinonia avec Dieu et inséparablement à la communion avec nos frères et sœurs dans l’Esprit.
Dans son pénétrant commentaire de l’Évangile de Jean, Cyrille d’Alexandrie souligne le contexte et la portée de la transformation apportée par la Pentecôte :
« Le Christ envoie l’Esprit, qui est à la fois l’Esprit du Père et le Sien propre, pour demeurer en chacun d’entre nous. Et cet Esprit, étant un et indivisible, unit ceux qui sont distincts l’un de l’autre comme individus et les rassemble dans l’unité en Lui. »
Cyrille poursuit : « unie à l’Esprit-Saint, notre nature est transformée si bien que nous ne sommes plus simplement humains mais également des fils et filles de Dieu, des êtres spirituels, parce que nous avons reçu la nature divine en partage. De ce fait, nous sommes tous un, dans le Père, leFils et le Saint-Esprit. Nous sommes un en esprit et sainteté, nous sommes un par notre communion à la chair sacrée du Christ et par notre partage de l’unique Esprit. »
Comme le perçoit Cyrille, le langage de l’Esprit dans le Nouveau Testament est un langage de relation proche et de réciprocité. C’est un langage de personnes en relation : que ce soient les personnes de la Trinité – le Père et le Fils reliés dans la communion de l’Esprit-Saint ou celles des croyants appelés à cette plénitude de l’identité individuelle qui est la communion. Vraiment, le Dieu de l’amour trinitaire désire et inspire des amoureux qui partagent la propre passion de Dieu pour la communion.
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Jean-Paul Hyvernat
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010