« L'Histoire devra lui rendre justice » - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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« L’Histoire devra lui rendre justice »

France Catholique vous propose de retrouver l’interview de Peter Seewald, auteur d’une biographie de référence fruit de dizaines d’heures d’entretien avec l’ancien pape. Il revient pour nous sur la vie du 265e pape de l’Église catholique.
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Vous distinguez dans votre livre « deux » Benoît XVI : celui du réel et celui des médias. Comment expliquer une telle distorsion ?

La société occidentale se sécularisant de plus en plus, les dogmes catholiques et, plus largement, la vision du monde que propose l’Église sont de moins en moins en adéquation avec notre société. C’est la raison pour laquelle beaucoup de médias ont considéré Ratzinger, homme profondément intelligent, comme quelqu’un qu’il fallait combattre. Cela ne date pas d’hier. Revenons au concile : deux camps s’étaient alors constitués, dont on peut dire que les hérauts étaient Küng d’un côté, et Ratzinger de l’autre. Des forces très puissantes s’opposaient. Ratzinger, qui défend une vision traditionnelle du catholicisme, a logiquement été la cible d’une hostilité de plus en plus grande par la suite. Pour autant, n’exagérons pas l’hostilité et les caricatures qui l’ont visé : sa réputation intellectuelle demeure incontestée et, du point de vue de la théologie, c’est l’écrivain catholique contemporain le plus lu. Sa trilogie sur Jésus a été n°1 des ventes en Allemagne. Il avait conscience de tout cela et pourtant il est resté toujours humble : dans la préface de sa christologie, il demande ainsi que lui soit accordé un minimum de bienveillance pour que les gens acceptent de lire ce qu’il a écrit. « Je ne dis pas cela pour moi, mais simplement parce que j’essaye d’annoncer l’Évangile », a-t-il expliqué.

L’Histoire devra-t-elle lui rendre justice ?

Sans aucun doute. D’une part, on ne verra pas de sitôt un pape doté d’une telle capacité à transmettre l’enseignement de l’Église. D’autre part, l’Église, en Occident, va continuer à se réduire, ce qui va probablement conduire à la constitution de petites communautés de chrétiens convaincus. C’était sa prophétie. Je pense que pour ces communautés, l’œuvre de Ratzinger sera un trésor précieux pour pouvoir reprendre vie, sans peur, avec la joie de la foi.

Benoît XVI aura davantage été pape émérite que pape régnant… Comment a-t-il vécu sa renonciation ?

Peter Seewald : Il ne s’imaginait pas que l’éméritat serait aussi long. Cette erreur d’appréciation l’accompagne tous les jours. Sa renonciation était liée au sentiment d’être profondément épuisé. Il estimait qu’il n’avait pas le même charisme que son prédécesseur et ne s’imaginait pas dans son pontificat jusqu’à la mort. Il pensait mourir très vite après sa renonciation, mais il renaît de ses cendres assez régulièrement ! Maintenant, il prie chaque jour pour pouvoir être emporté. On ne sait pas ce que Dieu a prévu pour lui… Mais il sait que « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit  » (Jn 12, 24), c’est son verset préféré de l’Évangile.

Cette biographie est le fruit de dizaines d’heures d’entretiens avec Benoît XVI, réalisées depuis trente ans… Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre ?

C’était en novembre 1992, à Rome. J’ai immédiatement découvert le contraste entre sa réputation et ce qu’il était vraiment. L’homme n’avait rien à voir avec l’image de dureté, de conservateur, qui lui était attribuée. Celui qui n’était alors que le cardinal Ratzinger ne me donnait pas l’impression d’être un puissant de l’Église. Il m’a serré la main de façon douce et s’est montré très affable. J’ai vite compris qu’il était vain d’essayer de se montrer aussi intelligent que lui quand on l’interviewe. Aussi la première question que je lui ai posée était : « Éminence, comment allez-vous ? », ce qui l’a beaucoup surpris ! Nous avons ensuite abordé son enfance. La conversation s’est prolongée, au point que son secrétaire est venu plusieurs fois lui rappeler qu’un nonce patientait dans la salle à côté. Lorsque le secrétaire est entré pour la troisième fois, il lui a dit : « Occupez-vous du nonce, pour le moment je n’ai pas le temps ! » [rires].

Quel aspect humain vous a le plus marqué ?

C’est un homme qui ne se met pas en avant. Mais le plus impressionnant c’est que, s’appuyant sur la théologie, la sagesse de l’Église et de la Tradition, il est en mesure de donner des réponses toujours pertinentes aux questions de notre temps.

Votre biographie insiste sur le rôle des parents du jeune Joseph Ratzinger…

Cette capacité à tenir ensemble la foi et la raison, Ratzinger la tient de son père, homme simple qui n’avait pas reçu une formation très élevée mais qui ne s’est pas laissé influencer par la pression de l’esprit du temps, et en l’occurrence celle exercée par les nazis. Ratzinger disait de lui qu’il avait osé penser par lui-même. Son père avait aussi à cœur d’éduquer ses enfants dans la foi catholique. La famille, par ailleurs, était très pieuse.

Les caricatures se plaisaient à le dépeindre sous son pontificat comme le « pape allemand ». Certains ont même sous-entendu qu’il aurait pu faire preuve d’ambiguïté face au nazisme dans sa jeunesse… C’est au contraire à cette époque qu’il trouve les sources de sa théologie…

Au petit séminaire déjà, comme ses condisciples, il doit subir les humiliations infligées par les Jeunesses hitlériennes qui les considèrent comme des brebis galeuses : on leur explique que lorsque Hitler aura gagné la guerre, il n’y aura plus de place pour eux, ni dans les séminaires, ni dans la société ! Un soldat le prévient même : s’il persiste à devenir prêtre, le « nouveau monde » à venir lui réservera la prison et la mort. Ces années, sous le national-socialisme, ont ainsi été pour lui une expérience fondamentale. Pour éviter la catastrophe d’un monde sans Dieu, il comprend que le devoir principal de l’Église est l’annonce de l’Évangile. Il ne sert à rien de sauver ses murs et ses biens, s’il n’y a plus de catholiques vivant avec la conviction que l’Église s’appuie sur Jésus-Christ.

Lors du concile de Vatican II, Ratzinger était conseiller du cardinal Frings, l’archevêque de Cologne. Quelle était sa position ?

Il était prêt à en découdre, conscient de la nécessité que l’Église retrouve une nouvelle langue pour atteindre l’homme de notre temps. Mais, à la différence de beaucoup de réformateurs, il n’était pas prêt à renoncer aux biens de l’Église : si les mystères de la foi peuvent être compris toujours plus en profondeur, les fondements ne peuvent en aucun cas être changés, estime-t-il.

À la différence du théologien suisse Hans Küng, par exemple, il s’appuie toujours sur les Pères de l’Église et argumente toujours à partir de la foi de l’Église, jamais contre elle. Cette démarche n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la continuité de tous les vrais réformateurs, en restant fidèles aux fondements de la foi. On peut affirmer que, sans lui, le concile Vatican II n’aurait pas eu lieu dans la forme qui fut la sienne : il n’aurait été qu’une chambre d’enregistrement des textes préparatoires, car tout l’ordre du jour du concile semblait figé, comme si une main s’était déjà occupée de tout planifier. Ratzinger a d’ailleurs toujours cherché à cacher sa contribution, à ne pas s’en glorifier… C’est après le concile que l’inimitié contre Ratzinger surgit, car il était de ceux qui avaient lutté avec énergie pour que ce qui fut dit durant le concile soit transmis fidèlement et non instrumentalisé. Contrairement à la légende forgée par Küng, afin de s’inventer un ennemi, Ratzinger n’a pas changé entre l’avant et l’après-concile. Ce n’est pas un « progressiste » devenu« conservateur » : il est resté fidèle à ses idées.

Quelles ont été ses priorités, une fois élu sur le siège de Pierre ?

Benoît XVI a commis une erreur d’appréciation en pensant que son pontificat serait court. Il imaginait mourir dans les quatre ans suivant son élection ! Raison pour laquelle il a décidé de se consacrer non pas à des réformes structurelles, mais, avec une certaine hâte, au chantier qui lui semblait le plus urgent : la perte de la foi. Il a voulu faire face à cette crise symptomatique de l’esprit du temps, avec une nouvelle catéchèse chrétienne, d’où sa première encyclique sur l’amour, Caritas in veritate. D’une certaine façon, elle résume l’annonce la plus importante du Christ. Il considérait que son devoir était de rédiger une grande christologie : il fut ainsi le premier pape à écrire une trilogie consacrée à la figure de Jésus.