Au printemps 430, les Vandales, une horde germanique de dizaines de milliers d’hommes, mit le siège devant Hippo Regius, une opulente cité de grande importance sur les côtes de l’Afrique du Nord (aujourd’hui Annaba en Algérie). Aujourd’hui, cela pourrait n’être qu’un obscur épisode dans l’histoire des migrations de différentes peuplades “barbares” au moment du déclin de l’Empire romain (qui “tomba” exactement cinquante ans plus tard), si à l’époque l’évêque de cette cité n’avait été le grand saint Augustin.
Augustin avait alors 75 ans et il mourut quelques mois plus tard, d’une mort sans doute en partie due à l’angoisse que produisit ce siège. Les Vandales par la suite mirent la ville à sac mais laissèrent debout la cathédrale d’Augustin et la bibliothèque. Pourtant, ils détruisirent presque tout ce qu’il avait peiné à construire pendant les trente ans et quelque de son épiscopat.
Moi qui réside depuis longtemps déjà dans la région de Washingtyon DC, je pense souvent à cette histoire quand je vois diverses forces encercler l’Eglise et la nation. Jusqu’ici il y a assez de résistance et encore de l’espoir. Mais parfois l’histoire propose de dures leçons. Et c’est une des nombreuses raisons qui font qu’à notre époque, il vaut vraiment la peine de relire la vie de saint Augustin et de la méditer.
Ses Confessions sont probablement la première autobiographie de l’Occident latin. Mais ce n’est pas un simple catalogue des événements de la vie de quelqu’un. C’est un récit passionné d’une lutte chargée d’émotion menée contre les péchés et les erreurs de jeunesse ; puis de la brillante ascension d’Augustin dans ses études à Carthage et à Rome; et finalement de son entrée dans le cercle qui entoure le grand archevêque de Milan, saint Ambroise, qui conduit à la conversion d’Augustin – le cœur de l’histoire – et à son immense influence sur l’Église et sur tout le monde occidental.
Nous voyons souvent les problèmes d’aujourd’hui uniquement comme une menace pour nos traditions religieuses et civiques. Et certes, pour beaucoup d’entre eux, ils le sont. Mais Augustin était aussi confronté à des difficultés dues aux chrétiens et à la politique.
Les Vandales Ariens (comme beaucoup de “chrétiens” aujourd’hui) croyaient que Jésus n’était pas une Personne de la Sainte Trinité, mais seulement un grand homme qui était devenu en un certain sens “divin” par ce qu’il avait fait et souffert
Jeune homme, Augustin avait été lui-même quelque temps manichéen, une hérésie dont la croyance de base était une lutte cosmique entre un Dieu bon et un Dieu mauvais.
Évêque, il combattit les Donatistes, une secte rigide qui (et d’une certaine façon c’était compréhensible) s’était lancée dans une controverse à propos des catholiques qui avaient apostasié lors de la persécution de Dioclétien. Les Donatistes ne croyaient pas que les péchés des apostats étaient pardonnables ou qu’ils pouvaient être réintroduits dans le sein de l’Église.
Ensuite il y eut les Pélagiens. Pélage, un moine britannique, enseignait que nous pouvions être sauvés par nos propres forces, simplement en suivant la loi morale. Augustin, le grand Docteur de la Grâce (Doctor gratiæ) ne pouvait pas laisser une opinion aussi superficielle égarer les hommes. Il produisit une énorme quantité de documents pour réfuter les hérésies et expose la vraie religion, afin de “guérir les yeux de notre cœur ”.
Mais les troubles à l’intérieur de l’Église étaient loin d’être les seuls. L’Antiquité romaine tardive, qui avait certaines ressemblances avec notre époque d’instabilité, fut affrontée à différents bouleversements. Depuis Constantin, au début du quatrième siècle, le christianisme avait été toléré dans l’Empire. Mais sous Julien “l’Apostat”, vers 360, la persécution reprit. Quand Rome fut mise à sac par les Wisigoths en 410, quelques Romains, demeurés païens, revinrent à leurs anciennes calomnies et accusèrent le christianisme d’être, par ses choix pacifiques et son rejet des dieux traditionnels de Rome, responsable du désastre. Augustin réagit en écrivant La Cité de Dieu, une œuvre immense par sa dimension et son influence, qu’il ne termina que seize ans plus tard en 426. lI y exposait une vision du sacré et du profane qui eut d’immenses conséquences pour toute l’histoire de l’Occident.
Augustin traçait une distinction, ce qui avait été chose rare dans l’ancien monde : les chefs des peuples – y compris les empereurs romains – étaient alors ordinairement considérés comme des sortes de “divinités”. Jésus, lui, parlait de rendre à César ce qui était à César et à Dieu ce qui était à Dieu. Ce n’était pas seulement la reconnaissance d’un pouvoir plus haut que celui des chefs séculiers de l’ancien monde, mais cette reconnaissance était la seule qui faisait apparaître des distinctions aussi claires – et qui avait une puissance effective.
Augustin identifiait deux cités : la Cité de Dieu, centrée sur la volonté divine et le Bien qu’elle destinait au monde ; et la Cité de l’Homme, axée sur la volonté humaine et donc limitée dans ses intérêts, intérêts exclusivement de ce monde, et centrée sur elle-même. Rome n’avait pas encore été mise à sac, disait Augustin, parce qu’elle s’orientait lentement vers le culte du vrai Dieu. Rome était en voie de déclin, en partie parce que ses nombreuses et réelles vertus avaient été mises au service d’un égoïsme collectif. Et sa décadence et sa vulnérabilité étaient les inévitables conséquences du fait qu’elle ne s’intéressait plus qu’à elle-même.
Et en passant il démolit les croyances polythéistes. On comprend mal comment on pouvait encore s’accrocher aux dieux païens après la lecture des dix premiers livres de la Cité de Dieu. Les passions juvéniles d’Augustin se trouvaient ici canalisées vers un sol fertile. C’est un pur virtuose qui part à la chasse des diverses croyances païennes jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Le sol ainsi débarrassé, il peut alors commencer à exposer une vision positive d’une vertu véritable et d’un comportement civique, et une vie spirituelle authentique sur terre.
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Et il laisse aussi une large place aux voies mystérieuses par lesquelles Dieu travaille dans l’histoire, même quand, humainement parlant, ces voies peuvent conduire à des désastres qui semblent immérités.
Les noms sont différents, les acteurs aussi, mais il est clair que certaines choses ne changent jamais dans notre trop-humaine Église et dans le monde. Il n’y a jamais de solution définitive aux défis de la vie dans ce monde, et il y a des périodes où tout semble traversé par le doute. C’est pourquoi d’âge en âge, les hommes – chrétiens et non chrétiens – se sont tournés vers Augustin pour être éclairés, et nous avons encore grand besoin d’y revenir aujourd’hui.
Pour aller plus loin :
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- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
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- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ