Double ovation pour le pessimisme - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Double ovation pour le pessimisme

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Le Christ et la Samaritaine, Paul Véronèse, v. 1585.

Le Christ et la Samaritaine, Paul Véronèse, v. 1585.

[Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche]

Je commencerai par un simple fait. Je suis en colère la plupart du temps. Et je ne suis pas le seul. La plupart des gens que je connais sont la plupart du temps en colère contre une chose ou une autre. Je suis en colère contre les Talibans. Je suis en colère contre la Chine. Je suis en colère contre Donald Trump et son narcissisme adolescent. Je suis en colère contre Joe Biden, Nancy Pelosi et les autres catholiques auto-proclamés de Washington qui ont fait de l’avortement un sacrement. Et par-dessus tout, je suis en colère contre moi-même parce que je cultive ma colère. Parce que je m’y installe, je m’y plais et je la laisse devenir un poison, non seulement dans ma propre vie mais dans la vie que je partage avec ceux que j’aime.

Maintenant, si vous multipliez cela par 30, 90 ou 150 millions de personnes, vous avez une idée du véritable virus qui infecte une si grande part de la vie américaine actuelle. Évidemment, notre culture a des points forts et positifs importants. Nous devons nous en souvenir. Ce n’est pas uniquement un vaste panorama de troglodytes accros à la rage. Mais la colère est maintenant un arrière-plan omniprésent dans notre politique, nos batailles judiciaires et même nos conflits au sein de l’Église.

L’ironie de la chose est que nous vivons dans la république démocratique la plus riche et la plus prospère de l’histoire. Même beaucoup de nos pauvres sont riches selon les normes de la moitié de la population mondiale. Alors comment expliquer cette colère ? Il n’y a pas de raison « unique ». Dans la sphère catholique, les évêques sont blâmés pour tout. Et parfois ils le méritent. Mais les évêques n’ont pas inventé la pilule contraceptive. Ils n’ont pas créé l’anarchie sexuelle qui en a résulté. Les évêques n’ont pas inventé le transistor, la micro-puce, le téléphone portable, les jeux vidéos, les applications de rencontres pour homosexuels ou le cocon internet de pornographie qui a détruit des millions de familles et de vocations. Et les évêques n’ont pas de baguette magique pour annuler l’influence immensément négative de la culture populaire sur leurs ouailles.

Nous vivons un changement majeur dans la politique, l’économie, la technique, la culture et la compréhension de soi. C’est évident. Et l’Église a survécu par le passé à d’autres changements majeurs. Ce qui est unique au sujet de notre époque actuelle est ce que le sociologue Hartmut Rosa appelle « accélération et aliénation ». Nos progrès techniques ne changent pas uniquement notre façon de penser et d’agir. Ils accélèrent également radicalement la cadence de changement.

Cela perturbe les organisations et les habitudes. Cela mine les loyautés traditionnelles et la stabilité sociale. Nous n’avons pas digéré un changement qu’un autre nous tombe dessus. Et cela désoriente et frustre les individus. Ce qui conduit alors à un sentiment d’impuissance. Qui provoque la colère. Qui finit par nous épuiser. Ce qui conduit ensuite au cynisme, à l’acédie, au désespoir – ou aux trois à la fois. Cela ne se déroule pas toujours de cette façon. Les humains ont une résilience étonnante. Mais c’est un schéma trop courant pour l’ignorer.

Alors qu’est-ce que cela signifie pour l’Église ? Durant les vingt-cinq prochaines années environ, le chemin sera difficile pour l’Église en termes de ressources, d’assistance aux offices et d’infrastructures. Si la tendance actuelle se poursuit, l’état d’esprit de notre culture envers la foi catholique est peu susceptible de s’améliorer.

Nous pouvons atténuer la souffrance avec une organisation intelligente et une énergie évangélisatrice renouvelée.Mais nous ne pouvons pas apporter de solutions miracles aux problèmes dus à notre comportement. Nous souffrons de facteurs extérieurs que nous ne pouvions ni prédire ni contrôler. Mais nous récoltons aussi les effets d’un siècle d’incorporation catholique et d’optimisme naïf quant à la compatibilité de la doctrine catholique avec la culture américaine. Je crois fermement au potentiel des catholiques à être un levain sanctifiant dans la vie américaine. Il se trouve seulement que cela n’a pas fonctionné de cette manière.

Cela peut changer. Mais cela requiert des croyants qui pensent pour le long terme, en ayant le témoignage évangélique comme première priorité.

Ce qui nous ramène à la valeur du réalisme. Parmi les traits américains les plus agaçants, il y a un optimisme infatigable et un joyeux « je peux le faire » – tous deux dernièrement difficiles à entretenir. Mais l’espérance chrétienne et l’optimisme séculier sont deux créatures fort différentes. Augustin d’Hippone était un évêque d’une profonde espérance, mais étant données la nature humaine, l’expérience de son propre péché et la tourmente de son époque – de peu d’optimisme.

Bien sûr, le pessimisme peut être aussi toxique que l’optimisme. Personne n’apprécie un cafardeux chronique. C’est contraire à l’esprit de l’Évangile. Mais à dose médicinale, un petit peu de pessimisme – appelons-le réalisme pratique – nous oblige à rechercher et à chérir les véritables sources de l’espérance. Pour s’inspirer du regretté philosophe britannique Roger Scruton : un réalisme pratique restaure équilibre et sagesse dans la conduite des affaires humaines. Et nous en avons besoin. Cela produit un scepticisme de bon aloi qui pose des questions pratiques. Par exemple, quand on nous dit de « suivre la science », nous devrions demander : pourquoi ? et jusqu’où ? Et si, de fait, nous devrions suivre la science, pourquoi ne pas le faire quand cela mène au battement de cœur d’un enfant à naître ?

Scruton écrivait que « Saint Paul avait raison de recommander la foi, l’espérance et la charité comme les vertus qui ordonnent la vie vers le plus grand bien ». Mais il ajoutait qu’une espérance fausse, « une espérance séparée de la foi et non tempérée par les témoignages de l’histoire est un avantage dangereux, qui non seulement menace ceux qui s’y accrochent, mais tous ceux qui sont à la merci de leurs illusions ».

Ces paroles sont sages et vraies. C’est donc la tâche de l’Église d’offrir aux gens une véritable espérance enracinée en Jésus-Christ. Parmi les plus urgents problèmes auxquels les familles font face de nos jours, il y a le tiède athéisme pratique routinier qui s’infiltre dans nos têtes, venant du bruit de fond qui nous entoure ; l’invraisemblance du surnaturel dans un monde de galimatias et de propagande non-stop pour la science et la technique. Et cela se résume à des mensonges déprimants sur notre nature et notre raison d’être en tant qu’êtres humains.

Nous avons besoin d’autre chose que de mensonges. Nous languissons pour des choses meilleures que cela : la beauté et la pureté, le sens et la vérité. La Parole de Dieu est une eau dans le désert. Et de nombreux cœurs assoiffés se trouvent là. Donc ce n’est pas une mauvaise époque pour être chrétien. C’est exactement le contraire. C’est le meilleur moment, parce que ce que nous faisons maintenant a vraiment de l’importance.