Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Frère L.-M. Ariño-Durand : Cette consécration est très heureuse, d’autant plus de la part d’un pape très marial, lui qui était allé fleurir l’icône mariale de la basilique romaine de Sainte-Marie-Majeure dès le début de son pontificat en 2013… J’apprécie beaucoup que le pape ait la finesse de consacrer « la Russie et l’Ukraine ». Cela reflète une volonté de trouver la paix pour les uns et les autres et fait écho à une autre demande de Marie à Fatima : « Priez le chapelet tous les jours pour avoir la paix. »
Il faut rappeler que méditer les apparitions de Fatima consiste également à se demander si l’on croit à la force de cette prière. Dans toutes les apparitions, Marie demande de prier… Par exemple à Pontmain en 1871, quand tout semble s’effondrer, elle exhorte : « Mais priez mes enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher » ! Saint Louis-Marie Grignion de Montfort disait de son côté : « Marie obéit à son fils au ciel et sur la terre ». Il faut donc que nous ayons recours à elle !
Pourquoi les apparitions de Fatima mentionnent-elles la Russie en particulier ?
D’abord parce que la Sainte Vierge apparaît en 1917, année de la prise de pouvoir des bolcheviks en Russie. Il y a, dans cette apparition, une véritable inquiétude historique par rapport aux événements qui se déroulent. Quant aux « erreurs » mentionnées par la Vierge (cf. encadré), nous évoquons tout de suite le communisme, mais il faut garder en tête qu’il y a peut-être d’autres erreurs, l’annonce que fait Notre-Dame ne se cantonnant pas seulement à ce moment de l’histoire.
Parmi les « erreurs » de la Russie, le matérialisme est souvent cité…
Le matérialisme, c’est l’homme sans Dieu dans un monde où il croit qu’il est dieu. Et quand l’homme se prend pour Dieu, c’est la catastrophe. Dans la Genèse, le serpent affirme : « Vous serez comme des dieux » (Gn 3, 5). C’est ce que nous vivons aujourd’hui : nous déréglons notre climat au point que nous sommes incapables d’en réparer les dégâts, n’étant pas le Créateur ; nous sommes adeptes de la manipulation génétique avec, hier, des tentatives de clonage, aujourd’hui des expériences sur les cellules humaines, et demain des tentatives de faire des enfants sans parents ; ou encore l’instauration de la majorité comme l’étalon de référence. Or le Bien n’a pas à être choisi en fonction d’une majorité ! C’est effrayant parce qu’on est en train de devenir, comme le dit la suite du verset cité, « des dieux qui jugeront le bien et le mal ». La loi naturelle disparaît, tout devient subjectif… Gardons-nous cependant de croire que ces « erreurs » ne seraient que celles d’un pays ou d’une nation. C’est en fait toute l’humanité qui est face à ce choix terrible de se prendre pour Dieu ou de le choisir Lui, en le reconnaissant pour ce qu’Il est.
La consécration de la Russie a-t-elle déjà été faite comme demandé à Fatima ?
Cette question a fait l’objet de débats passionnés. Plusieurs communiqués du Vatican ont bien tenté de mettre fin à la polémique en affirmant que cette consécration avait bien été faite. Pourtant, il faut reconnaître qu’en rigueur de termes, les précédentes consécrations n’ont pas formellement repris ce qui avait été demandé par la Vierge : Pie XII consacre « le monde » en 1942 puis « le peuple russe » en 1952, Paul VI consacre « le genre humain » en 1964, puis enfin Jean-Paul II consacre « les hommes et les nations qui ont particulièrement besoin […] de cette consécration » le 25 mars 1984, place Saint-Pierre à Rome. Or, il me semble important de respecter les termes employés par la Vierge Marie. Nous, adultes, avons tendance à les déformer. Les enfants auxquels Marie apparaît, du fait de leur innocence, ne vont pas faire le tri dans les propos qu’ils rapporteront, ni ne les déformeront.
Pourquoi Marie évoque-t-elle son « Cœur immaculé » ?
Le cœur de Marie est un élément important de la théologie catholique, puisqu’il est mentionné plusieurs fois dans l’Évangile : lors de présentation au Temple, Siméon dit que son cœur sera « transpercé d’un glaive » (Lc 2, 35) et, après avoir retrouvé Jésus au Temple, l’évangéliste dit que Marie « gardait dans son cœur tous ces événements » (2, 51). Le Cœur de Marie se donne totalement et bat à l’unisson avec celui de son fils. À Lucie, l’une des voyantes de Fatima, la Vierge dit : « Mon Cœur immaculé sera ton refuge, et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu »… Ce Cœur immaculé de Marie, c’est celui qui a tant aimé Jésus !
Un siècle plus tard, le message de ces apparitions est-il toujours pertinent ?
Fatima est une prophétie. Il ne faut pas donc pas l’enfermer ou la limiter dans le temps, mais faire comme pour les prophéties de la Bible, qui concernent aussi bien le peuple juif de l’Ancien Testament que le catholique du XXIe siècle. Le message donné à Fatima est, en un mot : « Jésus ». En deux mots, ce serait « prière et pénitence » et, en quelques mots de plus : « Le Cœur immaculé de Marie est notre refuge et le chemin qui nous conduira jusqu’à Dieu ». Fatima est d’une simplicité absolument désarmante : Marie apparaît pour nous exhorter à nous tourner vers Jésus, c’est-à-dire à nous convertir ! C’est un appel perpétuel et d’une brûlante actualité.
Que pouvons-nous attendre de cette consécration ?
Tout ce que Dieu voudra nous en donner ! Il faut donc accepter nos limites, et dire qu’on ne sait pas quels fruits cette consécration va donner et oser s’abandonner à Dieu. Si l’on veut être exaucé, il suffit de demander que la volonté de Dieu se fasse, car c’est lui qui fait ce qu’il veut.
Il faut demander la paix, tout en gardant en tête que la paix mondiale commence déjà par la paix du cœur de chacun. Marie, lors des apparitions de Fatima, nous exhorte à revenir à son Fils et à prendre, résolument, un chemin de sainteté, dans la paix qui est un don de Dieu.