Quand je pense à la « Révolution solitaire » – cette détérioration des principes qui gouvernent le comportement sexuel dans les ruines de l’occident chrétien – des images me viennent à l’esprit.
L’une est celle de mon mère et ma mère, avant leur mariage, et du frère de mon père avec sa fiancée, au bord d’un lac près de chez nous. Il est difficile d’expliquer à des jeunes combien notre vie sociale était variée et énergétique autrefois en Amérique. Dehors chaque fois que c’était possible, sinon à l’intérieur – dans des salles de danse, des théâtres, des pistes de bowling, des écoles, des restaurants, des églises. Le lac auquel je pense était encore un lieu public quand j’étais enfant, avec une vaste buvette, et une galerie avec des jeux. À présent, cela n’existe plus, et rien ne l’a remplacé.
Mais les voilà, quatre jeunes en costumes de bains, un jour d’été avec probablement une centaine d’autres jeunes couples sur cette même petite plage, soit des amoureux de lycée, ou des couples de fiancés ou de jeunes mariés. On ne supposait pas, en les voyant, qu’ils couchaient ensemble, car, à moins d’être mariés, c’était peu vraisemblable. La conviction qu’ils avaient un comportement moral rendait cette scène possible.
J’entends l’objection, « Allez au bord de l’océan, et vous verrez des couples ». Mais nous ne sommes pas au bord de la mer. Nous ne sommes nulle part qui nécessite un voyage spécial. Nous sommes partout où il est possible d’aller publiquement par une belle journée. On y trouve des garçons et des filles, des jeunes garçons et des jeunes femmes, par deux. Le fait d’être en couple n’implique pas une consommation sexuelle. Ils se plaisent.
Toutefois, la loi morale qui était ouverte à des flirts innocents, sous-entendait davantage, parce qu’elle avait un objectif qui était évident. Le couple se formait dans la perspective d’un mariage. La plupart des gens à cette époque, se mariaient avant l’âge de vingt six ans, même si les garçons devaient faire un passage par le service de l’armée, et si les gens avaient un confort matériel bien inférieur à ce que nous avons maintenant.
A présent, très peu de gens se marient aussi jeunes ; beaucoup ne se marieront jamais ; le divorce qui pour la génération de mes parents était rare et scandaleux, est devenu courant ; les enfants grandissent sans leurs pères ; et il est difficile de trouver une seule habitude, dans l’éducation des enfants, et dans notre vie sociale fragile, qui soit destinée à pousser les gens à se marier et à les aider à le rester.
C’est à grande vitesse que nous disons adieu à la dernière génération en Amérique, qui puisse se souvenir de comment c’était d’avoir des musiciens vivants pour jouer, chaque week-end dans une salle de danse qui se trouve à une courte distance de chez soi, à pied ou en voiture ; ou comment c’était d’être jeune, amoureux, et de faire toutes les choses amusantes que font tous les camarades de classe, choses qui comportaient souvent beaucoup de plaisir physique, mais ne requéraient pas d’enlever le moindre vêtement.
Le péché rend le pécheur infirme. Les principes du péché font pire : ils rendent infirme un peuple entier. Ils donnent des crampes à l’esprit. La « Révolution solitaire » a laissé une trainée de défiance, de regret de récrimination et de désespoir – et beaucoup de gens qui se marient ne le font qu’après une longue série de naufrages sexuels et de trahisons.
Ceci sans mentionner les nombreux millions d’enfants qui sont nés hors mariage ou qui ont été coupés en morceaux dans le sein de leur mère. Où est la joie promise par la Révolution ? Où sont les mariages plus solides que jamais et riches d’enfants ? Où sont la douceur, l’amour et la gratitude qui devraient lier les deux sexes ?
Une autre image, quarante ans plus tard. J’enseigne dans un collège encore plus ou moins catholique, bien que la « Révolution Solitaire » soi passée aussi par-là, comme un feu dévorant. Je me dirige vers ma classe quand j’aperçois un garçon et une fille en train de faire, en public, quelque chose de stupéfiant.
Ils se tiennent par la main.
Je suis frappé par le fait saisissant que je n’ai pas vu une chose pareille depuis longtemps. Mes lecteurs peuvent dire : « Mais attends, moi cela m’arrive de voir cela ! » Chaque jour ? chaque semaine ? Le fait est, qu’on ne devrait pas avoir à essayer de se souvenir d’un truc pareil, pas plus qu’on ne devrait se demander quand on a vu pour la dernière fois un groupe de garçons jouer au baseball sur un terrain découvert, juste pour le plaisir, ou plein d’autres choses bonnes et belles qui devraient être ordinaires, mais qui de nos jours sont rares au point d’être inconnues.
Si on ne voit pas cela tout le temps, quelque chose ne va pas. Du temps de mes parents, et c’était encore le cas quand j’étais au lycée, bien que cela se soit vite terminé après, il y avait plus de gestes d’amour que maintenant (à l’ancienne, c’est-à-dire flirter, s’embrasser, danser, bavarder, s’embrasser à nouveau, etc…, sans fornication), et on se mariait davantage et on avait plus d’enfants.
On pourra dire que les gens d’alors cachaient leurs faiblesses. C’est un argument sans preuves. On attribue un effet magique au fait de se cacher qui, par définition, est invisible, et on en limite l’application à la période que l’on déprécie.
Il n’y a aucun doute, il y aura toujours du malheur dans la vie humaine. Mais imaginons que le monde des affaires décide que les négoces louches et autres malhonnêtetés soient autorisés, et même célébrés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait jamais eu de malhonnêtetés avant, ni seulement qu’on allait tricher davantage maintenant. Cela ferait que les aspects normaux de la vie des affaires cesseraient d’exister, par manque de confiance. Nous deviendrions vite incapables d’imaginer qu’ils aient pu exister – comme maintenant, nous pouvons difficilement imaginer cette image de chasteté et de passion au bord du lac.
Encore une scène. Je suis à l’université des Arts Libéraux Magdeleine et je vois un jeune homme et une jeune femme qui se tiennent par la main et se dirigent vers la chapelle. Là où la loi morale n’est pas seulement respectée, mais aussi aimée, les garçons et les filles – excusez l’expression juvénile – s’aiment sincèrement, avant d’en avoir choisi un particulièrement.
La joie, l’aisance, la confiance, la beauté et la bonté de ce comportement sont comme le retour des fleurs dans une terre dont les poisons qui l’avaient laissée désertique ont été éliminés.