Il y a toujours une tentation de domestiquer l’Évangile – d’arrondir les angles, d’édulcorer le langage et de naturaliser le surnaturel. En un mot, de le rendre confortable. De cette manière, les Béatitudes deviennent simplement de nobles adages à propos des pauvres, des doux et des malheureux. Le double commandement de l’amour devient une simple exhortation à la gentillesse. Même la mort du Christ se réduit à un bel exemple.
Saint Marc nous dit que ceux qui suivaient le Christ étaient stupéfaits et effrayés (Marc 10:32). Or nous voulons être à l’aise et non pas effrayés. Non pas à l’aise tels que Dieu le désire (avec la paix qui surpasse toute paix) mais à l’aise selon nos propres critères, en accord avec notre compréhension terrestre. Nous voulons que l’Évangile rende notre vie meilleure et non qu’il la bouleverse. Alors nous essayons d’apprivoiser ses mots pour les faire convenir à la bonne société.
Ensuite arrive un passage de l’Écriture tel que l’évangile de ce jour (Marc 9:38-47). Le discours de notre Seigneur à propos d’accrocher des meules de moulin au cou, de couper des jambes et d’arracher des yeux nous choque et nous ramène à la réalité du surnaturel et des commandements de l’Évangile. Il n’y a pas d’édulcoration possible de ces mots ni possibilité de leur donner une interprétation « mondaine ». Soit notre Seigneur veut dire que le péché est puni, parfois éternellement, soit Il raconte n’importe quoi. Soit nos choix ont une signification éternelle, soit ils ne veulent rien dire. Il n’y a pas de milieu.
Notre Seigneur nous conduit à cette vérité en usant de l’exemple d’une scélératesse unanimement reconnue comme telle – l’homme qui piège les enfants, celui qui « entraîne au péché un de ces petits qui croient en moi ». Ces dernières années, l’Église a eu de nombreuses et douloureuses raisons de réfléchir (peut-être ne l’a-t-elle pas fait assez) à ces paroles. Abuser des enfants encourt une condamnation universelle, même de la part de ceux qui ont échoué à les protéger.
Des gens contestent beaucoup de paroles de notre Seigneur. Mais je n’ai jamais entendu quelqu’un se plaindre de la condamnation du violeur : « il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mette au cou une grosse meule de moulin et qu’on le jette à la mer ». Bien sûr, la seule raison pour laquelle ce destin serait préférable pour un tel homme est qu’une punition pire l’attend dans l’éternité. Les décisions temporelles ont des conséquences éternelles.
Étant donné le cours actuel des affaires, il vaut la peine de s’attarder un moment sur cet exemple. Certains ont souligné l’hypocrisie d’une institution qui a fermement défendu les droits des enfants à naître et a pourtant toléré la pédérastie prédatrice dans le clergé. Leur critique est juste. Bien sûr, par le même raisonnement, l’Église, qui à juste titre a une tolérance zéro pour l’abus sexuel sur les enfants, ne devrait pas non plus tolérer les politiciens catholiques qui défendent, promeuvent et financent le meurtre quotidien des enfants à naître. La distribution de meules de moulin devrait être équitable.
Retournons à l’Évangile. Remarquez comme notre Seigneur, après Ses fortes paroles contre le violeur, change de conversation. Il nous est facile de condamner la turpitude d’un tel homme, de nous focaliser sur quelqu’un d’autre que nous. Alors notre Seigneur détourne Son attention du dévoyé vers nous-mêmes : « si ta main… et si ton œil… et si ton pied te porte à pécher… » Maintenant nous n’avons pas à considérer le destin éternel de quelqu’un d’autre mais le nôtre. Nos choix, tout autant que ceux de l’homme avec la meule autour du cou, ont des conséquences éternelles. Ils nous mènent soit à la vie dans le Royaume de Dieu, soit au feu inextinguible de la Géhenne.
Dans ces quelques versets, nous atteignons le cœur de la morale catholique. Tout dans ce monde est relativisé. Chaque choix a du sens uniquement en relation avec l’éternité, et de la valeur uniquement en relation au ciel. De ce fait la vie éternelle – et non l’argent, la célébrité, le plaisir ou le rôle politique – doit être le facteur déterminant de nos décisions. Tous ce qui mène au Royaume doit être choisi. Tout ce qui s’y oppose doit être rejeté – sectionné.
Les paroles de Jésus clarifient également le prix que nous devons payer en choisissant la vie éternelle : « coupe-le… coupe-le… arrache-le ». Ici de nouveau, nous nous hâtons généralement d’édulcorer les dures paroles de notre Seigneur. Nous soulignons (sans nécessité) qu’Il ne veut pas dire que nous devrions au sens littéral arracher des parties de notre corps. C’est une hyperbole, voyez-vous.
Malheureusement, nous sommes tellement occupés à expliquer l’hyperbole que nous esquivons la vérité qu’elle devait communiquer. Qu’il est préférable d’extirper certaines choses de sa vie que d’aller en enfer. Oui, c’est pénible. Cela peut sembler comme se séparer d’une partie de son propre corps. Mais votre vie éternelle pourrait en dépendre. Notre Seigneur use d’une hyperbole pour une raison : aller au ciel incomplet est préférable à aller tout entier en enfer. (NDT : cette hyperbole devait être particulièrement frappante pour les Juifs du fait qu’un homme estropié ne pouvait entrer dans le Temple.)
Bien sûr, personne n’entre au ciel mutilé, et personne ne va en enfer entier. C’est une face de l’hyperbole. Si nous allons en enfer, c’est sous la forme de personnes brisées et disloquées. Si nous entrons au Ciel, nous le faisons dans notre intégrité. Donc le douloureux paradoxe est que la coupe de membres ou l’arrachage d’yeux pourrait très bien être nécessaire pour préserver notre intégralité dans l’éternité. C’est le rôle de la mortification dans la vie chrétienne. En vue de rester entier pour le Ciel, nous devons parfois couper certaines choses de la terre – de la nourriture ou de la boisson, des plaisirs légitimes, du confort et du bien-être.
Pour débuter, extirpons la domestication des paroles de notre Seigneur et laissons-les nous percer le cœur.