Faire faillite - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Faire faillite

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'adoration de Mammon, Evelyn De Morgan, 1909

'adoration de Mammon, Evelyn De Morgan, 1909

[collection De Morgan]

À presque tous les égards, l’Amérique est la nation la plus riche du monde. Comparée aux autres nations du monde telles que maintenant ou par le passé, la nôtre se trouve être probablement la société la plus prospère de l’histoire. Bien sûr, il y a une poignée de pays avec un PIB par habitant plus élevé. La Suisse par exemple. Mais elle est également moins peuplée que la seule ville de New-York. Presque aucun grand pays n’a un revenu moyen plus élevé. Aucun pays n’a un revenu disponible par habitant plus élevé que les États-Unis. Nous sommes à la tête du monde pour la consommation des ménages. Nous sommes les champions du monde incontestés du « posséder des trucs ».

Sommes-nous meilleurs pour autant ?

Pratiquement personne de ma connaissance ne prétend qu’il vaudrait mieux que nous soyons plus pauvres. Probablement parce que la plupart des Américains ne se sentent pas particulièrement aisés. Un peu plus de la moitié des Américains dépense chaque mois la totalité de la paie. Je doute que beaucoup d’entre eux pensent qu’il serait mieux pour eux d’être plus pauvres. En 2019, 10,5% des Américains vivaient sous le seuil de pauvreté défini au niveau fédéral. Je doute que ces 34 millions d’Américains pensent qu’il aurait mieux valu pour eux avoir moins.

Même en laissant de côté les plus riches des riches, l’Américain moyen est absurdement aisé au plan mondial, sans parler des standards historiques. Aucun empereur romain n’a jamais joui du confort dont je dispose dans mon domicile de banlieue : air climatisé, deux téléviseurs couleurs, le wifi qui atteint la plupart du temps tous les recoins de la maison.

L’omniprésence de la richesse américaine nous la rend plus difficile à voir. Quand on en vient au spectre du consumérisme, il y a une sorte de tentation perverse à chercher la sécurité dans l’anonymat de la moyenne confortable : « je ne suis pas milliardaire ! J’ai une voiture d’occasion ! Je galère pour payer les factures et économiser pour les études de mes enfants. Je suis ordinaire ».

Si vous me ressemblez un tant soit peu, la sécurité relative et le confort modeste de la classe moyenne en Amérique apportent un soupçon lancinant. L’Ecriture n’est pas spécialement silencieuse sur les dangers de la richesse. Pas plus que les saints. Pas plus que le magistère. Nous connaissons les plus célèbres phrases :
• « Vends tout ce que tu as et distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. »
• « Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. »
• « Il comble de biens les affamés ; renvoie les riches les mains vides. »
• « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux. »
• « Il sera demandé beaucoup à qui beaucoup a été confié. »
• « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon. »

Il est dur d’écrire à ce propos sans ressembler à un grincheux moralisateur (ou tout au moins à un hypocrite). Mais étant donné l’omniprésence de la richesse dans ce pays, les innombrables avertissements de l’Ecriture, les saints, la tradition à propos des dangers de la richesse, le consumérisme, le matérialisme et similaires – et étant donné la fréquence évidente de ces vices dans le monde qui nous entoure – n’est-il pas possible que nous Américains devrions porter une attention plus grande à ces avertissements ?

N’est-il pas possible que ceux d’entre nous se trouvant dans la confortable moyenne aient à prêter attention même si – et peut-être surtout si – nous ne nous sentons pas spécialement riches en comparaison avec ceux qui nous entourent ? N’est-il pas possible que, lorsque la comparaison entre nous et ceux qui nous entourent nous rend content de soi, c’est en soi un signe avertisseur ?

Il est vrai que l’Eglise a toujours insisté que l’important n’est pas tant ce que nous avons et en quelle quantité mais ce que nous en faisons qui compte. Comme l’exprime Saint Jean Chrysostome : « n’est pas riche celui qui est entouré de nombreuse possessions mais celui qui n’a pas besoin de nombreuses possessions ; et n’est pas pauvre celui qui ne possède rien mais celui qui a besoin de beaucoup de choses ». Mais cet enseignement ne devrait pas nous endormir dans notre confort mais plutôt nous inciter à voir dans nos possessions une obligation et une responsabilité de les utiliser pour les autres, pour le Royaume.

La plupart des Américains sont assez riches pour croire au mythe de notre auto-suffisance. Nous sommes juste suffisamment riches pour croire que nous pouvons nous permettre de vivre sans la forme de solidarité dont les générations passées dépendaient pour leur survie. Cette prétention à l’auto-suffisance peut se manifester en une rancœur féroce envers ceux qui dépendent de nous. Cela peut même nous porter à détester l’idée même que nous pourrions avoir besoin de compter sur quelqu’un d’autre. Ce n’est pas seulement un danger spirituel, c’est également un danger social et politique.

Comme société, nous en sommes venus à croire que la solidarité humaine sans laquelle nous ne pouvons nous épanouir peut être remplacée par l’indépendance et l’isolement que notre argent peut acheter. Le taux de mariages chute, le taux de natalité s’effondre, la méfiance sociale se répand. L’isolement forcé apporté par la pandémie ces derniers mois n’a servi qu’à mettre en évidence cette réalité, tout comme les pics liés de toxicomanie et de suicide.

Peut-être bien, qui sait, qu’avoir toutes les bonnes choses que l’argent peut acheter et qu’Amazon peut nous livrer nous rend moins dépendants les uns des autres et qu’en retour cela nous rende moins heureux. Et moins aptes à reconnaître que nous sommes dépendants, pas seulement les uns des autres mais de Dieu.

Est-il meilleur pour l’Amérique d’être si riche ? Sommes-nous de meilleurs disciples et évangélisateurs parce que nous sommes prospères ?

Heureusement, tous ces avertissements sévères sur les dangers de la richesse ne sont pas seulement des avertissements mais également des promesses :

« Quant à vous, ne cherchez pas ce que vous aller boire ou manger, et ne vous inquiétez plus. Toutes les nations de la terre recherchent ces choses et votre Père sait que vous en avez besoin.
A la place, recherchez Son Royaume, et ces autres choses vous seront données par surcroît. »