« Privilège » est maintenant un mot piégé, asséné pour dénigrer les opposants et interrompre un argument sensé avant qu’il ne soit fini de prononcer. Une personne privilégiée, poursuit le fil de la pensée, a reçu des faveurs imméritées qui l’élèvent au-dessus des autres qui doivent se battre contre le destin pour réussir.
Pour égaliser les chances, les privilégiés devraient être jetés bas de leur perchoir : ils devraient être réduits au silence par le tribunal de l’opinion publique. Leur statut social élevé a annulé leur droit au Premier Amendement. Ceux qui cèdent à l’accusation de « privilège » se trouvent eux-mêmes dans une situation paradoxale d’auto-contradiction, faisant pénitence pour un péché qu’ils n’ont pas commis et ne peuvent pas commettre tout en étant incapables de prendre une ferme résolution de s’amender puisque le péché est une part d’eux-mêmes.
Une conversation sur les privilèges est devenu une route à sens unique, entièrement séculière de caractère, et imposée par le mouvement politique identitaire. Mais si nous replaçons le privilège sous la lumière de la foi chrétienne, nous apprenons que les privilégiés de notre société ne sont pas des gens mauvais mais ceux-là mêmes qui devraient mener la quête d’une justice authentique au bénéfice de ceux qui en ont besoin.
Un privilège est un bénéfice ou une immunité au-delà de ce que les autres possèdent, garanti à une personne ou à un groupe. Son origine provient de la Rome antique comme « privus lex » (loi privée) conçue pour aider un individu.
Les analogies entre le monde civil et l’ordre divin ne sont jamais parfaites mais la compréhension chrétienne de la grâce offre une perspective rafraîchissante sur le privilège. La grâce est un don gratuit et immérité de vie divine que Dieu octroie à qui Il veut en vue du salut.
Dieu offre suffisamment de grâce à tous Ses enfants pour qu’ils soient sauvés, bien que certains reçoivent plus que d’autres. Par exemple, les catholiques reçoivent plus que les non-catholiques et au sein de la famille catholique, Saint François d’Assise ou Mère Térésa de Calcutta ont reçu plus comparé à la plupart d’entre nous. Au vu d’une vocation individuelle, la grâce peut être comprise comme un privilège, un bénéfice accordé par Dieu grâce auquel un individu ou un groupe répond à une vocation unique.
Nous voyons que la grâce produit un privilège surnaturel dans le dogme de l’Immaculée Conception. « La Très Sainte Vierge Marie a été, depuis l’instant de sa conception, par une grâce singulière et un privilège du Dieu tout-puissant et en vertu des mérites de Jésus-Christ, Sauveur de l’humanité, préservée de toute souillure du péché originel ».
La Bienheureuse Mère montre alors la réponse appropriée à la réception d’un privilège venu de Dieu : la gratitude et l’humilité. « Mon âme magnifie le Seigneur, mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur car il a regardé la bassesse de sa servante… Car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses, saint est Son nom » (Luc 1:46-49).
Des dispositions de Marie, nous voyons que Dieu ne donne par le privilège d’une grâce imméritée pour l’élévation personnelle. La grâce s’accompagne de l’obligation de servir Dieu et le prochain, comme le dit clairement la parabole des talents. Si des catholiques manquent à user de leur privilège pour des buts divins, le Concile Vatican II leur rappelle que « non seulement ils pourraient ne pas être sauvés mais qu’ils seraient plus sévèrement jugés ».
Au contraire, plutôt que de voir le privilège à la lumière de la gratitude, le mouvement politique identitaire l’a replacé dans le langage de la rancœur. Comme les premiers vignerons engagés dans la parabole de la vigne, ceux qui brandissent « le privilège » comme un gourdin refusent de voir les grâces qu’eux-mêmes ont reçues parce qu’ils sont consumés d’envie concernant les grâces que les autres ont reçues.
La politique identitaire, pour atteindre sa vision de la justice sociale, a apparemment cherché à redresser les injustices sociales et à aider les défavorisés, mais elle n’a réussi qu’à descendre en flammes les avantagés. Pour faire cela, le mouvement a démonisé le « privilège » en général, et deux « privilèges » en particulier – à savoir l’ethnicité et le sexe – tout en ignorant le fait que la dotation de tels privilèges tient à la loterie de la vie, bien loin du contrôle de qui que ce soit.
Les privilèges, étant donné les imperfections des êtres humains, feront toujours partie de quelque société que ce soit, tout comme les inégalités qui peuvent en découler. Certains privilèges sont bons, tels donner la priorité aux femmes enceintes pour les places assises du métro ou donner aux personnes âgées une réduction au restaurant. D’autres inégalités sont tout-à-fait mauvaises, comme établir la carte scolaire selon des intentions racistes. Cependant, une chose est certaine : diffamer des citoyens en raison de leur apparence sous couvert de privilège n’apporte ni paix ni justice, mais la discorde et la rancœur.
Ce qui apportera la paix et la justice à la société est de considérer honnêtement nos privilèges sociétaux, quels qu’ils soient, comme le devraient des chrétiens : comme des dons devant être utilisés, non pour l’élévation personnelle, mais pour bâtir le bien commun. L’exhortation du président Kennedy demandant quel bien nous pouvons faire pour notre pays est le parallèle civique de la façon dont Dieu nous demande de répondre aux privilèges qu’Il nous accorde : « Maître, tu m’as confié cinq talents ; en voici cinq autres » (Matthieu 25:20).
Le privilège n’est pas quelque chose dont il faut s’excuser. Si Dieu accorde des privilèges dans l’ordre surnaturel, il s’ensuit qu’ils peuvent exister dans l’ordre naturel également. Si les privilèges, tant d’origine divine que sociale, sont reçus avec gratitude et humilité, alors nous pouvons espérer voir les privilégiés agir charitablement et œuvrer pour la justice envers les défavorisés. La tradition chrétienne a un nom pour de tels privilégiés – on les appelle des saints, ce que nous sommes tous appelés à devenir.
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