Martin Luther aimait à dire : « Ne mentez pas quand vous priez. » C’est une de mes citations favorites. Je ne sais s’il a réellement dit cela ou non, parce que je l’ai tiré d’Internet il y a plus de dix ans. Mais s’il ne l’a pas dit, il devrait l’avoir dit, parce que c’est vrai.
Ne mentez pas quand vous priez. C’est une citation qui mérite attention à une époque de discours officiels catholiques ambigus. Quand nous croyons réellement ce que nous proclamons croire, nous conformons nos coeurs, nos esprits, nos choix et nos actions – à la fois en privé et en public – aux convictions que nous proclamons avoir. Autrement nous sommes des menteurs.
Il y a des douzaines de problèmes politiques et culturels, par exemple, à propos desquels des catholiques fidèles peuvent légitimement ne pas être d’ accord. Mais il y a certains problèmes où, si nous voulons être fidèles à notre foi, il y a très peu de place pour divaguer. Parler des droits de l’homme et de la dignité humaine est une partie vitale de notre discours politique. Mais il y a un peu plus que de la piété vide si le droit humain fondamental – le droit à la vie – est compromis ou, pis, activement répudié par la « sacramentalisation » de la violence de l’avortement. C’est exactement ce que notre nation, et évidemment notre actuel président catholique, fait aujourd’hui.
Nous vivons dans une démocratie pluraliste qui appuie sa légitimité – toujours de façon précaire – sur deux piliers égaux : coopération et conflit. Nous avons besoin des deux. Comme citoyens nous avons besoin de coopérer et de transiger chaque fois que nous le pouvons, pour le bien commun. Et nous avons aussi besoin de combattre, pacifiquement mais vigoureusement, pour les choses auxquelles nous croyons, cela sans avoir à donner d’excuses et sans gêne.
Notre volonté de combattre pour nos croyances est aussi pour le bien commun, parce que toute loi et toute politique publique impliquent une application de ce petit mot si important « devrait ». Pour le dire plus simplement, toutes les lois imposent la morale de quelqu’un – son idée de ce qui est bien et de ce qui est mal pour la société – à tous les autres. Ainsi, si nous ne travaillons pas à avancer nos convictions catholiques quand il s’agit d’une décision publique, d’autres avec leurs convictions très différentes vont avancer les leurs. C’est aussi simple que cela.
Le conflit est une part inévitable d’un monde déchu. Nous sommes appelés à aimer le pécheur mais à rejeter le péché et à y résister. C’est ce que l’Église a toujours voulu dire quand elle parle du combat spirituel. Et cela est directement applicable à notre devoir de citoyens. Une saine compréhension de la diversité exige un respect des opinions différentes. Une saine compréhension du pluralisme exige que les gens de conviction combattent sur la place publique pour leurs croyances.
Autrement, des mots comme « diversité » et « pluralisme » sont des mensonges narcotiques, des masques pour la recherche et la conquête du pouvoir; et une société dominée par les mensonges est finalement mortelle pour son peuple et pour elle-même. Les dessous hideux de la démocratie américaine, qu’Alexis de Tocqueville a si bien décrits – la médiocrité de l’âme qu’ils encouragent, et la peur qu’ils font naître en chacun de nous d’être coupé du troupeau et moqué par l’opinion de la majorité – sont précisément ce qui a paralysé le témoignage évangélique des catholiques américains dans les dernières 50 années, même quand nous avons eu des succès en politique, commerce et vie professionnelle.
J’aime beaucoup les mots. J’ai travaillé avec eux toute ma vie. J’aime beaucoup le langage pour la réalité et la richesse qu’iI comporte à propos du monde et de notre vie. Plus de 50 ans après avoir quitté ma high school jésuite et avoir gagné l’Université, je me rappelle encore le premier vers grec que j’ai appris de l’Odyssée Andra moï ennepe, Mousa, polutropon, hos mala polla, « Chante-moi, ô Muse, l’homme aux mille tours, qui souffrit bien des choses. » Il y a une douceur et une beauté au grec original qu’un lecteur peut respirer comme une fragrance. Je mentionne cela ici, cependant, non pas pour radoter sur la littérature classique, mais parce que ma femme et moi avons un fils adulte, Dan, qui vit avec nous.
Dan a le syndrome de Down. Son QI est de 47. A cause de son état, il a une très grande difficulté à formuler et à exprimer ses pensées. Il lutte et bégaie et se répète pour dire même les mots les plus simples. L’écouter c’est comme déchiffrer un code. C’est une éducation de patience et d’humilité.
Mais voici ce que je voulais dire : il y a une transparence dans son amour, ses joies, et ses tristesses qui n’ont pas besoin de mots; une transparence qui est absolument honnête. Dan peut être entêté et confus, mais il n’y a pas de non-vérité en lui. Ce que vous voyez est ce que vous recevez, et sa vie est un trésor pour ses frères et sœurs et pour nous ses parents.
Je trouve utile de comparer son combat pour parler avec les 132 millions de dollars que les plus grandes Tech compagnies ont dépensés pour faire pression sur le Congrès l’an dernier, les millions de plus qu’elles ont dépensés pour des relations publiques tout en rose et pour nous convaincre d’acheter des choses dont nous n’avons pas réellement besoin. Au moins deux de ces compagnies ont contrecarré ou menacé le discours libre chez soi. D’autres grandes compagnies dans « notre pays de la liberté » ont soutenu le système de surveillance chinois via leurs affaires à l’étranger. Quand je fais cette comparaison, je me rappelle exactement qui j’ai besoin de défendre et ce pour quoi j’ai besoin de combattre en tant que croyant et en tant que citoyen.
Une réflexion finale pour l’étrangeté de l’époque que nous vivons: il y a presque un demi-siècle, le philosophe catholique Josef Pieper observait qu’un des maux centraux de notre époque est la subversion du langage en un instrument de pouvoir par l’utilisation étudiée de la flatterie, de la tromperie, de l’imagination et de l’intimidation. « L’élément commun de tout cela » écrivait-il dans son livre Abus du langage, abus du pouvoir, est la dégradation du langage en un instrument de viol. »
Le langage comme instrument de viol : c’est ce que notre discours politique peut devenir, et va devenir, si nous négligeons de parler et de vivre notre foi catholique – tout ce qu’elle est – fidèlement et vigoureusement, non pas seulement en privé mais en public, quand cela nous arrange et quand cela ne nous arrange pas. Comme Martin Luther le disait ou devrait l’avoir dit : « Ne mentez pas quand vous priez. » Les mots ont de l’importance. Il faut que la façon dont nous vivons prouve ce qu’ils signifient.