Je n’arrête pas d’entendre les gens dire : « Le monde a changé maintenant ; rien ne sera plus comme avant après cela. » Je suis généralement sceptique vis-à-vis de prédictions telles que « tout a changé maintenant » parce que j’ai entendu trop souvent les gens dire « tout a changé maintenant » alors que cela s’est révélé faux par la suite. Un exemple m’en a été rappelé il y a peu.
Durant les manifestations de la place Tian’anmen en 1989, je n’ai cessé d’entendre les gens dire : « oh, cela va vraiment changer les choses ». Et alors, il y a eu ce jour stupéfiant où une colonne de blindés a été arrêtée par un unique manifestant chinois. Je me rappelle que la personne assise à côté de moi pour regarder la scène à la télévision s’est tournée vers moi et a dit : « il n’y a pas de retour en arrière possible. Les choses seront entièrement différentes après cela ». J’ai pensé qu’il avait probablement raison.
Maintenant, avançons dans le temps jusque l’année passée. Un professeur de mes connaissances était assis dans son bureau avec un étudiant étranger venu de Chine. Sur la face intérieure de la porte de son bureau, ce professeur avait épinglé un poster de cette fameuse scène de l’étudiant chinois isolé faisant face à une longue rangée de blindés. L’étudiant venu de Chine a regardé, perplexe, le poster et a demandé : « Pourquoi avez-vous cela ici ? Vous savez que cela n’est jamais arrivé ».
« Comment ? », a répliqué mon ami, incrédule. « Ce n’était que de la propagande des ennemis de la Chine ». Les manifestants de la place Tian’anmen n’étaient qu’un petit groupe de radicaux qui sont allés « trop loin », poussés par des gouvernements étrangers. Autant pour le « tout sera différent » et le « il n’y a pas de retour en arrière possible ». Pour changer le gouvernement en Chine, il faut plus qu’une grande photo en une et plus qu’une poignée de commentateurs patentés à la télévision.
De même, il faudra plus qu’un événement dramatique (que ce soit l’attaque du 11 septembre ou la pandémie actuelle) assorti de quelques commentateurs psalmodiant « tout sera différent » pour remédier aux dysfonctionnements politiques qui nous minent.
Il est facile de dire « les choses seront différentes » parce que, d’une certaine manière, c’est toujours le cas. La question n’est pas de savoir si les choses seront différentes – l’univers est un flux constant – mais si le changement sera en mieux ou en pire.
D’après ce que je puis voir, les choses seront pratiquement les mêmes, seulement un peu plus mauvaises. Soyons honnêtes avec nous-mêmes. Il n’y a pas eu de pause dans la chicane, la partisanerie, la haine, les insinuations et l’attribution de motifs inavouables au camp adverse. Il n’y a pas eu, dans le domaine politique, d’augmentation d’une politesse et d’une courtoisie élémentaires, pas de volonté plus marquée d’entrer dans un dialogue public constructif avec ceux qui ne sont pas d’accord, pas de respect plus affirmé pour l’ordre constitutionnel. Je ne suis pas en train de vous dire quoi que ce soit que vous n’auriez pas déjà remarqué.
Durant la crise, les médias ne se sont pas non plus montrés être les preux défenseurs de la vérité et de la justice. Ce sont des idéologues de plus en plus aveuglés par leur colère et leurs préjugés. Ils ont des « discours » formatés au moyen desquels ils trient et interprètent la profusion de données et d’anecdotes qu’ils doivent traiter chaque jour.
Il présentent cela au public de manière aussi émotionnelle et ludique que possible afin de garder les revenus publicitaires aussi élevés que possible pour pouvoir éponger les dettes colossales dues par leurs sociétés mères. Cette crise, pas plus que les nombreuses qui ont précédé, n’a atténué de quelque manière que ce soit leurs tendances clivantes, elle n’a fait qu’augmenter leur rapacité. Il n’y a aucune raison de penser que les choses seront différentes dans les mois à venir, surtout en approchant des élections.
Donc, bien que je n’ai aucune idée de ce qui va effectivement arriver, nous pourrions réfléchir à quelques petites choses qui pourraient probablement arriver.
Beaucoup de gens ont conclu que nous devrions être mieux préparés. Cela semble éminemment vrai. Mais la question est : préparés comment ? La plupart des propositions que j’ai entendues impliquaient de planifier à l’avance de quoi nous aurions besoin lorsque la prochaine crise imprévisible par nature nous tomberait dessus, afin que nous puissions exercer notre prouesse technique pour contrôler la situation et la maîtriser. Ce n’est pas idiot, mais cela risque de nous laisser toujours en train de nous préparer à combattre la dernière guerre plutôt que nous préparer à la prochaine.
J’ai une idée légèrement différente. Pour préparer la prochaine crise imprévisible, peut-être devrions-nous faire notre possible pour nous assurer que chaque entreprise et chaque personne de ce pays a des réserves pour les trois mois à venir afin de tenir si l’économie devait de nouveau se mettre au point mort.
Ne plus être en permanence au maximum de rentabilité. Ne pas crouler sous les dettes au point qu’un arrêt des affaires d’une semaine implique la ruine financière. Les 85% les plus performants de notre économie devraient être capables de survivre trois mois sur leur épargne, sans nécessiter de renflouement, aide financière ou prêt du gouvernement pour des milliards de dollars. Chaque personne ou entreprise devrait être encouragée, en vertu du devoir civique, à se préparer de cette manière.
Devoir civique ? Qui pense devoir civique ? Nous devrions le faire. Trop de gens ne le font pas.
Nous saurons que les choses ont changé quand la nation et les individus qui la composent se mettront à vivre plus frugalement et avec un esprit plus civique. Nous serions tout autant passionnés, mais moins partisans. Il y aurait moins de dénigrement, moins d’intérêt porté aux célébrités et plus d’intérêt porté au bien à long terme de la nation. Il n’y aurait plus jamais de débat Twitter et les gens seraient capables de faire la distinction entre des slogans désobligeants et des arguments raisonnés qui prennent au sérieux le contradicteur.
La foule hurlante des médias serait remplacée par des journalistes sérieux qui ne feraient pas du journalisme inquisitorial et qui gagneraient le respect non pas uniquement par leur pureté idéologique mais parce qu’ils auraient gagné une réputation méritée en étant équitables et en facilitant une discussion sensée entre les différents partis et entre ceux qui ont des opinions différentes sur le bien commun.
A ce point, je suis probablement la risée de nombreux lecteurs. Que puis-je dire ? Dieu nous vienne en aide. Il faudrait un miracle. Mais tant que certaines choses fondamentales ne changeront pas – tant que nous ne redécouvrirons pas pour en vivre les vertus qui depuis des temps immémoriaux ont permis aux civilisations de s’épanouir – l’avenir ne sera guère différent ; il sera, je le crains, pratiquement le même, en pire.