Vous parlez d’anorexie spirituelle concernant notre situation en Occident ?
Robert Cheaib : Je souligne ainsi que, de la même manière qu’on peut refuser ce qui fait du bien à notre corps, notre société refuse la spiritualité qui fait du bien à l’âme. Je constate parmi mes élèves, qui sont pour la plupart de jeunes bourgeois, qu’ils ne se posent pas de questions. Ils sont éteints. Dans les dialogues que j’ai avec eux, je constate que même si je suis plus âgé qu’eux, je suis plus enthousiaste, j’ai plus de désir de vivre qu’eux. Mon défi avec eux c’est d’ouvrir un parcours de questionnement.
Comment leur parlez-vous de Dieu ?
Je leur propose de parcourir l’histoire du Salut et de la spiritualité chrétienne, avec de solides fondements théologiques, sans jargon mais avec des piliers. Je parle de trois rencontres du Christ, avec un patriarche : Abraham, le père de la prophétie : Moïse, et un prophète : Élie. Ce sont les prémices d’une histoire d’amour qui trouve son aboutissement en Jésus : l’amour qui n’est pas aimé se fait chair. Puis je présente le Dieu que le Christ annonce. Le Dieu que Jésus nous présente n’est pas seulement amour : tous ses attributs sont ceux de l’amour. Même la justice de Dieu est resplendissante de son amour. La Trinité, c’est le Dieu chrétien : « Si tu vois la Trinité tu vois l’amour, si tu vois l’amour tu vois la Trinité », disait saint Augustin.
Et l’Église ?
C’est le défi : quand on parle de l’Église, pour les étudiants, cela évoque pour eux les palais et l’ostentation. C’est pour cela que j’ai cherché à dialoguer avec les Pères de l’Église pour montrer son visage en partant de ce qu’on voit : une pécheresse chaste, comme dit saint Ambroise. Je commence par l’extériorité qu’on ne doit pas nier. Je dis aux étudiants : ne croyez pas que comme chrétien je ferme les yeux pour aimer l’Église. Je dois la regarder, c’est comme ça que je l’aime, en étant sincère avec ma mère, mais en reconnaissant aussi son visage intérieur. On part de la pécheresse chaste pour arriver à l’épouse du Christ, au cœur qui aime Jésus : « L’Église c’est le cœur qui aime Jésus », disait Urs von Balthasar dans un de ses textes. L’Église c’est une Église qui ne vient pas de l’histoire mais de la Trinité : la Trinité c’est la première Église, première communauté d’amour. Donc l’Église est un défi pour nous, ce n’est pas quelque chose qu’on doit critiquer. C’est une image divine qui nous oblige à nous renouveler.
Pourquoi faut-il une résurrection des sens ?
Le Verbe s’est fait chair. Lui-même s’est fait notre chemin vers la vraie vie. C’est pourquoi Augustin nous exhorte : « Passe par l’homme et tu arriveras à Dieu. » Le Christ est vrai homme, mais aussi « l’Homme parfait », et celui qui se met à sa suite devient à son tour plus humain (Gaudium et spes 22, 41).
Pourtant, le christianisme a presque toujours mis le visage de la pénitence pour la pénitence, de la tristesse pour montrer la piété. Je crois que cela trahit un peu l’incarnation. En effet, à l’opposé de l’anorexie de l’esprit, on trouve l’émerveillement, la faim heureuse, la capacité de goûter et d’apprécier, les sens sains et pleinement réceptifs. Cette résurrection des sens constitue la vocation de l’homme appelé à la plénitude de la vie. Dieu ne se présente pas comme un « bouche-trou » des misères de la vie, mais comme la plénitude, comme le sommet d’un désir qui ne se satisfait de rien de fini.
— Un Dieu humain, Robert Cheaib, Salvator, 182 p., 18 €.
— Un Dieu humain, Robert Cheaib, Salvator, 182 p., 18 €.
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Jean-Paul Hyvernat
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010