Il faut la plume drôle et légère de Gabrielle Cluzel pour dénoncer de tels sujets, sans jamais verser dans l’amertume. Perte des repères et du sens de la terre, de la tenue vestimentaire et des bonnes manières, des valeurs de transmission et d’évangélisation, rien n’échappe à cette chroniqueuse aguerrie.
La rédactrice en chef de Boulevard Voltaire débusque, décortique et met en lumière les travers de la France décorsetée. « La rigueur, la ponctualité, la régularité, l’amour du travail bien fait, le sens du devoir sont une déclinaison profane des règles bénédictines. » Et Gabrielle Cluzel de rappeler : « C’est en s’imprégnant des codes, des rites, des usages qu’un étranger se coule dans une société. Et répétons-le, c’est peut-être parce que la France n’en a plus qu’elle ne parvient plus à intégrer… » Ces valeurs devenues indéfendables, car communément qualifiées de bourgeoises, sont dans cet ouvrage réhabilitées en beauté.
« Courgeois » et « immobourgeois »
Loin d’être une notion péjorative, la bourgeoisie de Gabrielle Cluzel est « attachée à son bourg, c’est-à-dire à sa terre, à sa pierre, et surtout à l’univers culturel dont elle est héritière. Là est la richesse qu’elle a reçue de ses ancêtres et qu’elle voudrait avoir le droit de transmettre à son tour ».
Pour le plus grand bonheur de ses lecteurs, l’auteur nous décrit deux caractères dignes de ceux de La Bruyère. Le « courgeois », le bobo qui court et qui consomme : « Le courgeois se croit drôlement plus malin que le bourgeois. Il s’ennuie moins. N’est jamais contraint. Est épicurien. Et ne comprend pas qu’en refusant d’être maillon d’une longue chaîne, il vit dans le temps court. Il est le court-joie. »
Face à lui, « l’immobourgeois », ce bourgeois immobile : « Il est la France profonde, la France bien élevée. » Une France méprisée des élites mais qui n’a pas peur de manifester, bienvenue dans « la France de Johnny ».
Des raisons d’espérer
Dénonçant les déliquescences de notre société conduisant inexorablement à une nation fragmentée, la journaliste sait redonner au lecteur des raisons d’espérer. Parmi elles, l’Église et l’armée, deux institutions encore capables d’exercer les hommes à se dépasser, citant Arnaud Beltrame « l’un de ces glorieux maillons ».
En outre, elle décrit une génération encore bien enracinée : « La jeunesse catholique existe, ardente, pieuse, dure au mal, entêtée puisqu’elle revient chaque année, et prête au sacrifice – au moins dans un premier temps de son week-end et de ses pieds – et il ne faudra pas s’étonner quand elle sera si nombreuse qu’on ne pourra plus faire sembler de l’ignorer. »
Cette jeunesse de France non pas en marche, mais en route vers Chartres, a médité les mots du cardinal Sarah : « Terre de France, réveille-toi ! », « Peuple de France, retourne à tes racines ! » Exaltant les humanités comme rempart au consumérisme et à l’overdose de technicité, Gabrielle Cluzel ne s’illusionne pas de regretter le passé, mais nous donne à redécouvrir les qualités d’âme que la civilité a su éduquer, et dont nous sommes tous les héritiers.
— Enracinés !, Gabrielle Cluzel, Artège,180 pages, 15 €.
— Enracinés !, Gabrielle Cluzel, Artège,180 pages, 15 €.