« C’est par rapport à l’option préférentielle pour les pauvres réaffirmée avec force et sans ambiguïté, après Medellin, à la Conférence de Puebla d’une part, et la tentation de réduire l’Évangile du salut à un évangile terrestre d’autre part, que se situent les diverses théologies de la libération. Rappelons que l’option préférentielle définie à Puebla est double : pour les pauvres et pour les jeunes. Il est significatif que l’option pour la jeunesse soit en général totalement passée sous silence. »
C’est ce qu’a écrit le cardinal Ratzinger dans l’Instruction de 1984 de la CDF sur certains aspects de la « théologie de la libération », dans un passage établissant les principes permettant de distinguer le bon du mauvais (Chap VI, § 5 et 6, NdT). Le critère qu’il pose ici est le suivant : parler d’option préférentielle pour les pauvres, sans tenir compte d’une option préférentielle tout aussi convaincante pour les jeunes, est probablement erroné.
À l’appui, il se réfère au Document de Puebla de Jean-Paul II, où le grand pape exhorte les évêques d’Amérique latine à redoubler d’efforts pour l’évangélisation. Le saint choisit trois thèmes pour une attention particulière des évêques – qui peuvent aujourd’hui nous sembler étrangement éloignés.
Le premier est la famille comme église domestique : « Il suffit de considérer, dit-il, les campagnes en faveur du divorce, de la contraception artificielle et de l’avortement, qui détruisent la société ». Le second concerne les vocations : « L’une des preuves de l’engagement des laïcs est leur fécondité dans les vocations à la vie consacrée ».
La troisième est l’option préférentielle pour les jeunes : « Combien d’énergies circulent parmi les jeunes d’Amérique latine, dont l’Église a besoin ! Comment nous, les bergers, devons être proches d’eux, afin que le Christ et l’Église… puisse entrer profondément dans leur cœur ! »
Examinons un point facile un peu à l’écart. Il est impossible de montrer une option préférentielle aux jeunes en les molestant, ou en ne les protégeant pas des agresseurs. De tels bergers ont plutôt dégonflé les « énergies » des jeunes et les ont conduits à fermer leur cœur à l’Église et au Christ. Ces évêques ont été anti-évangélisateurs. Selon le critère de la CDF, nous ne pouvons pas non plus faire confiance à ce que ces bergers ont à dire sur l’option préférentielle pour les pauvres.
Certes, il a toujours été possible d’interpréter correctement l’option préférentielle pour les pauvres comme incluant les enfants. Je n’ai jamais vu un enfant avec une surabondance de biens matériels. Les parents doivent habiller, nourrir, loger, enseigner et réconforter leurs enfants, sans cesse, pendant de nombreuses années.
Par le principe de subsidiarité, si important pour la pensée sociale catholique, nous voyons que les familles le font mieux que les gouvernements, et mieux que la famille naturelle. Ainsi, par un raisonnement direct et immédiat, nous voyons que la pensée sociale catholique doit inclure tous les enseignements sur la famille, qui sont généralement ignorés par les Guerriers de la Justice Sociale et identifiés avec les « conservateurs sociaux ». Rusty Reno a très bien argumenté sur ce point.
Ainsi, même la morale sexuelle est une partie nécessaire de la pensée sociale catholique – ce qui est logique, étant donné que le sexe est censé être social et que la famille est la cellule de base de la société. « Tu ne commettras pas d’adultère » vient juste après les interdictions contre les transgressions destructrices de la société que sont le meurtre et le vol. En effet, autoriser l’avortement (un problème sexuel ?), c’est autoriser le meurtre. Autoriser le divorce, c’est autoriser l’adultère.
C’est Jésus qui a insisté sur ce dernier point, rappelons-le. Ce qui conduit à la conclusion intéressante que ceux qui ignorent l’option préférentielle pour les jeunes doivent également ignorer la Bible. Par exemple, la page web de l’USCCB (Conférence des évêques des États-Unis, NdT) sur « L’option pour les pauvres et les vulnérables » contient de nombreux versets bibliques sur les pauvres, mais aucun sur les enfants.
Mais alors « l’option pour les enfants, nés et non nés, et les jeunes » devrait avoir sa propre page web. Pourtant, à partir du moment où l’on dit que cette seule option est double, ou qu’il y a deux options co-égales, tout trucage sur la façon dont « l’avortement doit être contextualisé compte tenu de l’injustice structurelle flagrante dans la société », etc., devient insoutenable – parce que nous sommes invités, sans ambiguïté, à utiliser le même raisonnement pour les deux.
Supposons que pour résoudre la nuisance des pauvres qui réclament, certaines nations permettent aux riches de les tuer à volonté, et que des centaines de millions ont ainsi été éliminés. Un commentateur pourrait-il sérieusement dire, dans ce cas, que les catholiques pourraient en conscience voter pour un politicien qui approuve fièrement une telle politique – au motif que ce politicien est en faveur d’un salaire minimum plus élevé et s’oppose à un mur frontalier ?
La page de l’USCCB cite avec approbation la déclaration suivante de Gaudium et Spes, 69 : « Quant à celui qui se trouve dans l’extrême nécessité, il a le droit de se procurer l’indispensable à partir des richesses d’autrui. », ce qui à première vue semble irresponsable, comme incitant à la violence. Supposons qu’une page analogue, sur l’option préférentielle co-égale pour les jeunes, indique de la même manière qu’en cas d’extrême nécessité, lorsqu’un humain immature est transporté pour être tué, d’autres personnes agissant en son nom ont le droit de faire ce qu’elles doivent pour arrêter ça ? Ces cas sont des applications équivalentes du principe de nécessité.
Sur sa page, l’USCCB n’inclut pas la note de bas de page de la Congrégation relative à cette phrase, qui exclut à la fois la révolution violente et le socialisme comme remèdes aux inégalités de longue date. Elle se réfère à Thomas d’Aquin qui dit, en effet, que le principe de la destination universelle des biens est contrebalancé par le principe de la loi naturelle selon lequel « chacun est chargé de l’intendance de ses propres affaires, afin qu’il puisse en sortir de quoi venir en aide à ceux qui en ont besoin. »
Ainsi, s’il existe un principe de droit naturel qui contrebalance la revendication de nécessité dans le cas des pauvres, rien ne le fait dans le cas des jeunes – certainement pas un droit à la vie privée.
Tout cela pour dire que si la même urgence se fait sentir pour l’option pour les jeunes comme pour les pauvres, ces derniers ne domineront certainement pas – ce qui est sans doute la raison pour laquelle certains ont « passé [l’option pour les jeunes] sous un silence total ».
17 septembre 2019
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/09/17/the-preferential-option-for-the-young/
Photo : Jean Paul II à Puebla
Michael Pakaluk, fin connaisseur d’Aristote et Ordinaire de l’Académie pontificale de St Thomas d’Aquin, est professeur à l’École Busch d’Économie et des Affaires à l’Université Catholique d’Amérique. Il réside à Hyattsville, Maryland, avec son épouse Catherine, également professeur à l’École Busch, et leurs huit enfants. Son dernier livre, sur l’évangile de Marc, The Memoirs of St Peter (« Les mémoires de st Pierre »), est maintenant disponible sur le portail Regnery Gateway.