Un nuage d’inconnaissance - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Un nuage d’inconnaissance

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Il y a des choses qui dépassent ma compétence, que je ne comprends pas. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’opinions là-dessus.
Je vous vois venir, sympathique lecteur ! Vous vous attendiez à ce que la phrase suivante commence par « Mais.. » J’allais le faire, et puis j’ai réfléchi. Il est quelque fois plus difficile de s’arrêter de parler quand on a dit ce qu’il fallait.

Et pourtant ce n’est pas ce que je vais faire ce matin. D’ailleurs on ne me comprendrait pas.

Apparemment, nous ne sommes pas à l’aise aujourd’hui avec ceux qui se déclarent incompétents, car on en entend bien peu. Dans la plupart, sinon dans tous les départements d’experts, celui qui est sûr de soi a le plus de succès. Avouer qu’on est incertain rend les gens méfiants, au moins si l’on en croit feu Oussama ben Laden qui disait que les gens aiment parier sur le cheval qui paraît le plus fort.

Je pense à un médecin que j’ai consulté une fois et dont le diagnostic, exprimé fortement et sèchement, était faux. Par chance son comportement – sa désinvolte confiance en soi – l’a trahi, ce qui fait que j’ai ignoré ses conseils d’opération.

Ensuite je suis allé voir un autre médecin ; une femme qui après m’avoir examiné a dit : « Je peux penser à cinq choses qui pourraient causer votre surdité. Je ne sais pas laquelle est la bonne, mais nous devrions partir de celle qui est la plus vraisemblable. »

Une heure après un passage à la pharmacie, j’étais guéri.

J’ai eu la chance d’avoir pour mère une bonne infirmière. Elle m’a préparé à comprendre le sens du mot « iatrogenesis » (effets contraires d’un traitement médical professionnel), et à ne pas croire un médecin trop sûr de soi. Davantage de gens devraient connaître ce mot.

Je cite la médecine comme une métaphore. Dans cette époque technologique nous sommes entourés de personnes qui offrent des remèdes pour des affections qui vont du fongus de l’orteil à la mort de la planète par réchauffement climatique (il y a quarante ans nous allions périr de froid).

Selon l’estimation de ma défunte mère, plus de la moitié de nos remèdes ont un défaut de diagnostic et plus de la moitié du restant sont mal administrés. Des décennies plus tard, j’en suis venu à penser que ces deux estimations s étaient conservatrices. Et pourtant les niveaux de crédulité ont augmenté.
Telle est la marche (progressiste) du monde. Pour être juste, le monde a toujours été plein de vendeurs d’huile de serpents, et aussi d’ « experts » parfaitement sincères avec des diplômes difficilement acquis et un penchant pour l’erreur. Le mystère est que leurs remèdes parfois marchent.

Encore ma mère. Le corps humain a d’extraordinaires pouvoirs d’auto-guérison et personne ne peut les comprendre ou ne les comprendra jamais. Permettez-moi d’ajouter qu’on pourrait dire la même chose de la planète.
Il pourrait même y avoir des raisons psychologiques au fait que deux personnes avec exactement les mêmes symptômes voient des résultats différents – un, disons, qui meurt dans les six mois pronostiqués, l’autre qui entre en rémission. Bien qu’étant athée, maman rejetât l’efficacité médicale de la foi et de la prière, elle remarquait que cela marchait souvent plus que le désespoir.

Il

Ce qui en retour veut dire que faire naïvement confiance à votre médecin peut être le secret de la guérison, dans certains cas. Son mauvais diagnostic, et l’emploi d’une mauvaise prescription peut marcher comme un placebo, à moins que cela ne vous tue à cause d’effets collatéraux.

Ce ne sera pas la première fois que je suis accusé de paradoxe. Il y a une longue tradition de mépris philosophique à l’égard de la profondeur abyssale du réel, y compris notre tradition scholastique catholique quand elle touchait à sa fin, à la Réforme, qu’elle était en train de se dessécher. Beaucoup d’humidité l’a remplacée, mais je suis en train d’essayer d’éviter les deux extrêmes.

Quelque part au milieu, le mystère demeure, et on a besoin d’humilité, face aux réalités qui resteront un abîme sans fond, quel que soit le remède que nous proposons. Le respect de la réalité doit nécessairement inclure le respect de ce qui se trouve dessous, derrière et autour. Pourquoi ce qui est mystérieux devrait-il nous déplaire ?

C’ est là aussi sûrement qu’un mur est là, et aussi sûrement qu’existe ce qui se trouve en tournant le coin du mur, bien que nous ne puissions le voir. Peut-être cela cessera-t-il d’être un mystère quand cela deviendra visible, mais en attendant, comme le futur dans lequel il est logé, il continuera à nous être inconnu.

La mort par exemple est cette sorte de coin de mur et, quand on l’approche, seule la foi peut offrir quelque réconfort contre des peurs primales, tout à fait naturelles. La simple confiance comme celle qu’on a dans un remède ou un médecin, finalement ne nous suffira plus, aucun placebo ne nous aidera.
Il est vrai que le suicide est recommandé par la plupart des athées, en cas de désespoir. Contre une douleur crucifiante, cela pourrait paraître garantir une issue. Ceux qui souscrivent à la promesse d’un néant devraient cependant réfléchir à leur être propre.

*

Qui garantit que le néant PEUT être là ? Pourquoi devrions-nous lui faire confiance ? Quand on a quelque expérience de la vie, pourquoi irions-nous parier sur un remède aussi simpliste ? Pourquoi obéir à un médecin si prétentieux ?

Différentes cultures ont offert différents remèdes au stress que donne l’existence humaine, et la nôtre (qui survit dans la culture chrétienne catholique) a rejeté toute alternative à la Foi.

Il y a là un paradoxe : un grand et évident paradoxe, ou si vous voulez, une subtilité qui a la simplicité d’une gifle. Ce que nous ne savons pas, et vraiment, ne pouvons pas savoir, est accueilli ouvertement. Notre ignorance, spécifiquement celle de notre propre avenir, est proclamée.

Ou peut-être devrais-je préciser que ce n’est proclamé que dans le christianisme traditionnel, qui remonte à l’enseignement de Jésus Christ. Nos rituels modernes, païens le dénient.

Assistant récemment à des obsèques, j’ai été frappé jusqu’à m’en effrayer par l’optimisme sentimental des participants. Ils étaient rassemblés, tout confiants, dans une église catholique. C’est le prêtre lui-même qui parlait du défunt et de ses retrouvailles heureuses avec la famille et les amis défunts.
Il présumait non seulement que le défunt allait au Ciel, mais aussi que ces autres dont il parlait y étaient déjà. Cela comprenait des gens que j’avais rencontrés et que personne jamais n’avait pris pour des saints.

J’ai eu le sentiment d’un scandale. Qui a fait de cet homme un prêtre catholique – quand en fait il n’est qu’un autre vendeur d’huile de serpents ? Pourquoi lui avait-on permis de s’habiller de la sorte ?

20 décembre 2019

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/12/20/a-cloud-of-unknowing/

Tableau : L’extrême onction, par Nicolas Poussin, c. 1639 [Fitzwilliam Museum, Cambridge, Angleterre]

David Warren est ancien rédacteur en chef de Idler magazine et éditorialiste dans des journaux canadiens. Il a une grande expérience du Proche et de l’Extrême Orients. Son blog Essays in Idleness peut être aujourd’hui trouvé sur le site .: davidwarrenonline.com.