Il y a quelques années, un baptiste de mes amis soutenait : « il ne peut pas y avoir de preuve empirique de l’existence de Dieu ». Il proposait comme allant de soi que la totalité de la doctrine chrétienne était fondée exclusivement sur la foi, qui est un don de l’Esprit.
Dans cette optique, le monde était un flux inintelligible de matière et de mouvement ne nous révélant que ses propres événements. Richard Dawkins et Steven Pinker avaient bien raison de décrire le monde comme ils l’ont fait, car c’est seulement par le don de la foi que nous pouvons discerner quelque chose de plus. Pour ceux qui ne sont attentifs qu’aux faits bruts, rien de ce qui appartient au domaine de la vérité chrétienne ne peut être discerné.
Je ne crois pas avoir jamais entendu le sujet peint si nettement auparavant, du moins pas par un chrétien. Cela semble une affirmation non historiquement attestée, pour ne rien dire de son côté hétérodoxe.
Non historiquement attestée, parce que le monde dans lequel sont apparus le judaïsme et le christianisme voyait le spirituel ou l’intellectuel comme gouvernant l’ordre des choses. Et c’était la première et plus évidente émancipation de la raison. Thalès, le philosophe pré-socratique, écrivait : « toutes les choses sont pleines de dieux » – une hypothèse de base de la culture. Le mouvement même des choses matérielles attestait de leur gouvernance divine et de la présence interne de l’esprit.
Socrate proposait que cette gouvernance divine était en fin de compte inscrite dans la lumière transcendante et débordante du Bien. Cela a été reçu dans un premier temps par des accusations d’athéisme. Pour ses contemporains, cela semblait un désenchantement blasphématoire qu’il n’y ait qu’une unique source divine à la splendide plénitude devant nos yeux.
Cependant, Socrate ne visait pas à désenchanter le monde mais simplement à montrer qu’il tient ensemble par un bon ordonnancement, un cosmos. Et les générations ultérieures ont approuvé son objectif. A l’aube du christianisme, les religions romaines peuvent bien avoir été outrageusement polythéistes, les convictions philosophiques romaines convergeaient avec celles d’un monde plus vaste. La vérité était une et divine ; elle est la cause, donne forme et ordonnancement, et ainsi gouverne tout ce qui est.
Le matérialisme des stoïciens et des épicuriens durant cette période n’était qu’une forme exagérée de cette longue absorption, rationnelle et réfléchie, de plusieurs dieux en un dieu père régnant. Les stoïciens ont clarifié l’idée du logos comme étant spécifiquement l’intelligence divine ordonnant toute la nature.
Quand les chrétiens ont commencé à proclamer l’Evangile, des apologistes ont insisté sur le fait que la foi en Notre Seigneur et son amour incluaient davantage que ce que les philosophes païens connaissaient par la raison.
Les païens en doutaient, mais uniquement parce que l’idée chrétienne de création ex nihilo et son explication – Dieu est l’Amour même, sa bonté désire se révéler et inviter les autres êtres à partager son Existence – leur semblait, au premier abord, remplacer l’intellectualisme cohérent du logos par le volontarisme arbitraire de l’éros. Les chrétiens finiraient par montrer que logos et éros ne font qu’un.
Nier que nous puissions atteindre une connaissance limitée mais bien réelle de Dieu par la raison seule aurait frappé le monde antique non seulement comme impie mais également comme imbécile.
Saint Paul a fait usage de ce point pour convaincre les incroyants qui refusaient de recevoir la plénitude de l’Evangile comme parachèvement de leur propre savoir rationnel (voir Romains 1 :
20-21). La constitution du concile Vatican I, ‘Dei Filius’, suit Saint Paul en affirmant que « Dieu, le commencement et la fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses crées ». Pour les catholiques, c’est un article de foi que Dieu peur être connu par la raison.
Mais comment cela fonctionne-t-il ? Quel est l’objet d’intelligibilité que la raison rencontre la rendant capable de s’élever des choses vers le Créateur de toutes choses ?
‘Dei Filius’ suggère une réponse. Les « preuves extérieures » que constituent les miracles et prophéties convainquent la raison de l’existence de vérités divines. Mais elles ne peuvent pas constituer une réponse complète ; ces éléments travaillent en coopération avec le Saint-Esprit et ne sont pas sujets de notre pensée de la même manière que les propositions rationnelles.
Le théologien du dix-huitième siècle William Paley faisait appel à des éléments particuliers de la nature qui indiquent clairement l’intervention d’un instigateur divin. L’œil était son exemple typique. Comment une telle chose pourrait-elle être produite par le hasard ? De récents partisans du « dessein intelligent » ont posé la même question.
Mais des particularités isolées au sein de la nature seront toujours insuffisantes pour nous convaincre de la dépendance de la nature envers Dieu, de l’existence de Dieu. Aristote le voyait bien. Toute formation particulière, aussi impressionnante qu’elle soit, pourrait être attribuée au hasard. Mais considérez, nous enseigne-t-il, ce que cela signifie de parler de hasard. Nous pouvons seulement attribuer quelque chose au hasard si cela sort d’une contexte plus large d’activité intentionnelle et ordonnée.
Les éléments qui composent le monde opèrent généralement d’une manière régulière et délibérée que nous pouvons percevoir et décrire en termes de causes. Cependant, au sein de cette complexité, les causes convergent parfois d’une étrange façon et quelque chose d’imprévu survient. Cela, tout le monde l’appelle hasard.
Cela n’aurait pas de sens d’appeler le monde comme un entier « hasard » ou « accident », précisément parce que le bon ordre des choses en général est notre base pour appeler quelque chose « hasard » dans un cas particulier. Ce n’est pas ce miracle particulier, ou cette chose particulière et ingénieuse qui permet à la raison d’aller de la Création au Créateur. C’est plutôt que la totalité de la réalité est intelligible ; c’est-à-dire qu’elle se donne à connaître à profusion.
La Création peut être décrite par les mathématiques et autres lois. Et chaque chose que nous rencontrons s’offre elle-même, en soi et par les conditions de sa propre existence, comme une sorte de cadeau intellectuel. Les choses sont des objets, elles ob-jectent, elles se lancent vers nous, demandant à être connues, dans une profusion débordante.
C’est ce que Aristote voulait dire quand il disait que le monde était plein de merveilles. Les choses existent, et par le fait même de leur existence, elles se donnent à connaître. Nous humains, les trouvant merveilleuses en elles-mêmes, commençons à nous émerveiller à leur sujet.
C’est ce mariage du connaissable et des connaisseurs, si évidemment aligné avec l’intelligence, qui nous prouve que le monde intelligible est uniquement parce que l’intelligence divine créatrice lui a d’abord donné d’être connu. Cette conviction de la raison ne peut s’empêcher de voir dans le plus grand mystère de notre foi – le Christ, le Logos, dans son don de soi téméraire sur la Croix – une expression fondamentale approfondissant et achevant ce que le monde révèle continuellement à la raison.
James Matthew Wilson a publié huit livres. Maître de conférences de religion et littérature dans le département d’humanités et de traditions augustiniennes à l’université de Villanova, il est également chroniqueur de poésie pour le magazine ‘Modern Age’.
Illustration : « L’école d’Athènes » par Raphaël, vers 1510 [palais apostolique du Vatican]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/08/10/what-reason-must-know/