Dans ma représentation de l’histoire, la ligne qui délimite la Réforme en Angleterre passe exactement par la décapitation de saint Thomas More.
Thomas More ne défendait pas seulement la doctrine catholique du mariage contre un roi obstiné qui la trouvait importune. Il avait une vision claire des circonstances, qui allait bien au-delà.
Léger et spirituel comme il pouvait l’être, cet admirable controversiste ne sacrifia pas sa vie pour régler un point qui faisait question.
Il réalisa intimement que c’était tout l’ordre de la chrétienté catholique qui était en jeu. En outre, il était dans une position raisonnable pour prévoir ce qui allait arriver. Car sur plusieurs fronts (Luther articulant l’un d’entre eux) cet ordre était menacé.
Qu’il ne pût prévoir exactement le déroulement des événements qui allaient suivre son propre martyre, cela va sans dire. Personne ne peut le faire, et le prophétisme ne le demande pas.
More était était rompu à la controverse. Ses œuvres en anglais ont été abondantes, plus que 1000 pages imprimées (Utopia, son œuvre humaniste, une œuvre alimentaire et mal comprise, fait partie de ses œuvres latines).
Le lecteur moderne ne peut pas affronter ces œuvres. Ce qui était objet de controverse il y a cinq cents ans n’est plus ce qu’on appelle une nouveauté, et l’anglais même est dans un style et un vocabulaire qui ont quelque peu évolué.
N’allons pas rêver de suivre l’argumentation échangée entre More et Tyndale, par exemple, sur la traduction que fit ce dernier du Nouveau Testament.
Mais si nous le faisions, nous y trouverions non seulement de la rhétorique âpre et rude mais une défense patiente de la tradition catholique, y compris une interprétation de la Bible qui n’a pas vieilli.
Nous trouverions aussi, dites par More, des choses scandaleuses, que nous pouvons mésinterpréter par anachronisme. Car outre la lecture, nous devons reconstruire le contexte dans lequel il écrivait – un monde différent de celui d’aujourd’hui et une Église qui n‘avait pas encore fait l’expérience de cinq siècles de nouveautés.
Un exemple : dans sa Confutation of Tynfale’s answer (« Réfutation de la réponse de Tyndale »), il accepte facilement que la liturgie puisse être présentée en anglais et cite 1 Cor. 1 pour l’expliquer.
Oui, ce serait un « un langage compris par le peuple » mais il ne s’ensuit pas qu’il doive être complètement démonté. Nous, grâce aux développements depuis Vatican II, nous tenons pour acquis que le langage doive être pleinement courant et familier.
L’idée que ce qui est sacré doive être présenté dans un langage sacré, ce qui était alors acquis, ne l’est plus maintenant. Vraiment, avec Tyndale, le combat sur ce sujet venait de commencer.
Nous venons de passer le dixième anniversaire de Anglicanorum Coetibus. Cette constitution apostolique du pape Benoît XVI a été célébrée ici à Toronto lors d’un colloque auquel j’ai participé.
Entre autres motifs d’émotion, cette noble tentative de récupérer la tendance catholique dans la communion anglicane nous permet de revisiter la Réforme anglaise. Notre génération et celles qui suivent ont comme défi d’aller visiter les textes anglicans et d’arracher de ce jardin à la beauté complexe les additions non catholiques.
Semblables efforts prennent du temps et exigent que Dieu soit notre guide. Comme l’Anglais More, nous devons réaliser que l’histoire de son Église dans le domaine anglophone remonte à plusieurs siècles et que l’anglais n’était que l’une de ses langues.
Le vieux rite de Sarum fait partie de notre héritage romain (et normand) : nous remontons en passant par les Angles et les Saxons, et même les Danois, au domaine brumeux goïdélique ; jusqu’aux premiers émissaires de Rome – et d’Egypte. Une « Église anglaise » doit inclure tout cela.
Mais cela fait partie de l’Église, non de l’histoire d’une nation. C’est un fait spirituel et non politique.
J’ai personnellement devancé la magnifique constitution de Benoît XVI. J’ai traversé le Tibre bien avant, dans un état d’esprit si hostile à l’Église anglicane (telle qu’elle était devenue), que je suis devenu aussitôt un aficionado de la messe latine.
La reconnaissance que fait Thomas More de la possibilité de la messe en anglais m’a surpris. Savait-il à quoi cela pouvait nous mener ?
Mais la dégénérescence peut se produire dans toute langue, et inversement le sacré peut être assimilé dans toutes les langues. Tandis que le latin doit, dans quelque futur imprévisible, rester lingua franca pour l’Église universelle, il doit aussi s’adapter à un monde « de la Pentecôte » qui souvent résiste au latin.
La signification de la tradition liturgique anglicane ne peut pas être détachée de l’histoire du protestantisme ; et c’est là que réside le danger. Sa beauté ne peut pas être oubliée, non plus. Des générations d’anglicans qui essayaient d’être fidèles aux traditions de l’Église catholique d’Occident furent ses auteurs.
En outre, elle s’est formée quand la tradition vivante était encore toute proche et quand la langue anglaise était à son apogée.
Non pas seulement « à son apogée » au sens de « la langue de Shakespeare », mais aussi dans un domaine pratique. Ceux qui ont étudié réaliseront qu’il est beaucoup plus facile de traduire les classiques aussi bien que la Bible en anglais élisabéthain ou jacobite SANS expression moderne ou toute faite.
Comme More n’en doutait pas (même avant que le style de prose anglaise ait pleinement mûri dans sa structure moderne), nous avions les facilités de faire une traduction de valeur. Jusqu’à tout récemment, l’utilisation de la version King James et du Book of Common Prayer (« Livre de Prière commune ») avait gardé cela vivant.
Et maintenant tout cela est de nouveau à nous, comme si quelqu’un nous avait retourné notre argenterie. Nous avons finalement retrouvé ce qui était catholique dans le domaine protestant anglophone, à un moment où l’anglais est devenu une forme de lingua franca même à l’intérieur d’espaces ancestralement catholiques.
Les catholiques anglophones (en Amérique et partout dans le monde) sont, et seront, à l’avant-garde de la reconquête de la foi et de la morale catholiques, autant que je puisse en juger. Le moment pour une version anglaise valable de la messe est arrivé par plusieurs canaux inattendus.
Mais ce sera un désastre si la foi catholique ne reprend pas sa place au cœur de ce développement.
Car le but de tout cela est de sauver les hommes, non une certaine langue et tune certaine tradition. Il est trop tard pour faire revivre le cadavre de More, mais jamais trop tard pour faire revivre la cause qu’il a servie même parmi ceux qui l’ont trahie.
Vendredi 21décembre
David Warren est l’ancien rédacteur en chef de Idler magazine and journaliste dans la presse canadienne. Il a une vaste expérience du Proche et de l’Extrême-Orient. Son blog, Essays in Idleness, peut être obtenu sur le site : davidwarrenonline.com.