Il est facile de s’agiter sur ce qui se passe de nos jours dans l’Église et dans le monde. Il est beaucoup plus difficile de voir ce qui pourrait être prometteur, en particulier lorsque les dirigeants laïques et les évêques semblent non seulement incapables de relever des défis imminents, mais contribuent en fait à notre sentiment d’une époque qui échappe à tout contrôle.
Dans de telles circonstances, il y a deux réactions possibles. La première est de crier « Malheur ! ». Et encore Malheur. Et de se tordre les mains de désespoir que personne ne fasse rien. La seconde est de trouver la motivation dans les défis mêmes auxquels nous sommes confrontés et de consacrer ses efforts aux multiples tâches à accomplir. La récolte potentielle est abondante et les ouvriers trop peu nombreux.
J’ai récemment écrit ici sur certaines initiatives que nous avons entreprises à l’échelle internationale et qui ont connu un succès tangible. Mais au risque de paraître naïvement optimiste – croyez-moi, je me réveille souvent perplexe – il se passe aussi des choses dans ce pays qui offrent un réel espoir.
J’ai été en contact avec l’une d’elles ce week-end : les Instituts Thomistes (IT) qui ont été créés par la Maison dominicaine des études à Washington, DC. Les dominicains ont mis en place des chapitres étudiants sur les campus universitaires à travers tout le pays et les aident à gérer des programmes avec des conférenciers distingués – de vrais catholiques – qui donnent des conférences sur la philosophie, la théologie, la littérature, etc.
Il y a environ quarante-cinq chapitres de ce type maintenant, et lors d’un dîner à Washington samedi soir, j’ai rencontré des étudiants qui dirigent des chapitres à Harvard, Johns Hopkins, Yale, l’Université du Texas, Brown, Trinity College, Columbia, l’Université de l’Utah, Toronto, Oxford, pour n’en nommer que quelques-uns. Les dominicains ont tiré de nombreuses vocations de ces institutions depuis un certain temps maintenant et, comme il sied à l’Ordre des Prêcheurs, ils sont tout à fait capables d’opérer à un niveau intellectuel aussi élevé que n’importe quelle institution que vous pouvez nommer.
Les universités peuvent ressembler à un sol assez stérile pour le renouveau catholique, et éloignées de bon nombre des menaces aiguës contre la foi – ou la simple raison – que nous rencontrons quotidiennement. Mais divers types de folie radicale se propagent désormais de manière assez transparente entre les campus et la société en général.
Les notions selon lesquelles les « genres » ne sont pas « binaires » mais existent selon « un spectre », par exemple, n’ont pas été conçues dans les assemblées législatives ou les salles d’audience de justice. Pas même à Hollywood ni dans les médias grand public. Elles ont d’abord vu le jour dans les salles de conférence et les salles de séminaire de certains de nos collèges et universités d’élite. Endoctrinez suffisamment de membres de la future élite culturelle, envoyez-les dans le monde et, avec le temps, vous aurez la société que nous faisons maintenant, où les choses que l’on croyait autrefois folles sont considérées comme des vaches sacrées.
Pour renverser ce processus, il faut commencer à former de futurs membres de l’élite culturelle avec les références et les capacités de combattre, et en nombre suffisant pour une campagne aussi difficile.
Je crois beaucoup à la doctrine Ratzinger : que ce sont les « minorités créatives » qui font bouger l’histoire. Le problème est que ce sont les mauvaises minorités qui contrôlent les leviers du pouvoir depuis un certain temps maintenant, et qu’il n’y qu’un trop petit contingent de nos propres forces d’élite pour faire tourner les choses dans des directions différentes.
La création de ces cadres prendra des formes nouvelles et innovantes d’entrepreneuriat spirituel et intellectuel. Et c’est là que les Instituts Thomistes entrent en scène.
Lors d’une causerie d’après dîner avec les étudiants, j’ai dit – en ne plaisantant qu’à moitié – que les pères Thomas Joseph White, op, et Dominic Legge, op, les créateurs des IT, sont les réponses catholiques aux Jeff (Amazon) Bezoses et Mark (Facebook) Zuckerberg. À moins que les Enfants de Lumière ne pensent aussi grand que les enfants de ce monde, nous nous sommes déjà installés pour jouer au mieux les deuxièmes violons.
J’ai donc mis au défi les étudiants eux-mêmes d’être les prochains Job Steve (Apple) ou Bill Gates (Microsoft) catholiques. Ces grosses entreprises technologiques ont des côtés répugnants, bien sûr. Et personne ne devrait penser que tout ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un marketing plus innovant dans l’Église.
Mais nous – principalement les laïcs et les ordres dynamiques comme les dominicains – devons « penser grand », ou du moins plus grand. Ou mieux. Une chose que j’ai le plus appréciée dans la conférence de cette semaine, c’est que les étudiants dirigeant les sections du campus se sont réunis sous la rubrique « l’élévation de l’esprit vers Dieu », une allusion au célèbre Itinerarium Mentis in Deum de St Bonaventure.
Et quoi d’autre devrait être le centre d’intérêt des jeunes dirigeants catholiques intelligents et énergiques ? Nous cultivons l’esprit, oui, pour être meilleurs au service des autres, mais finalement, pour ce qui est vraiment ultime : la vie éternelle.
Mais il y avait plus. Des conférences de haut vol sur la philosophie et la théologie, évidemment, mais aussi des sessions pratiques sur la façon de gérer réellement de nos jours les instituts des campus.
Tout cela est typiquement dominicain, mais c’est aussi un modèle pour beaucoup d’entre nous dans d’autres situations également. Dominique Guzman a fondé l’Ordre des Prêcheurs en grande partie pour combattre l’hérésie des Albigeois, essentiellement un gnosticisme résurgent au début du XIIIe siècle dans le sud de la France. Les gnostiques croient qu’ils possèdent une connaissance spirituelle spéciale (du grec gnosis), qui les place au-dessus des autres.
En fait, cela a souvent conduit à d’étranges aberrations, car ils pensaient que leur véritable moi était séparé du corps, conduisant soit à une ascèse extrême, soit à une auto-indulgence sexuelle, car, de toute façon, le corps était considéré comme sans importance. (Le mouvement transgenre présente certaines similitudes avec cette hérésie).
Le génie de Dominique fut de créer un ordre de prédicateurs qui évangélisaient directement le peuple, une activité auparavant réservée aux évêques. Les évêques étant soit incapables, soit réticents à assumer la tâche, Dominique a inventé une nouvelle approche et, à cette fin, a commencé à envoyer ses prédicateurs suivre la meilleure formation alors disponible : l’Université de Paris.
Alors peut-être qu’une bonne conséquence de la crise actuelle est que nous commençons à voir une résurgence similaire de nouveaux charismes anciens, ceux que les dominicains, les franciscains et même les jésuites, ont développés à en d’autres temps en réponse aux crises de leurs propres époques. Cela a fonctionné dans le passé et, sans aucun doute, Deo volente, cela le peut de nouveau. Parce que la moisson potentielle est grande, si seulement on trouve les ouvriers.
(15 juillet 2019)
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/07/15/the-minds-ascent/
Le Dr Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith & Reason Institute de Washington, D.C. Son dernier livre est A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century, publié par Ignatius Press. The God That Did Not Fail: How Religion Built and Sustains the West (« Le Dieu qui n’a pas échoué : comment la religion construit et soutient l’Occident ») est maintenant disponible en livre de poche chez Encounter Books.
Saint Dominique en prières par El Greco, v. 1605 [Musée des Beaux-arts de Boston]