Il y a près de cinquante ans, le célèbre sociologue des religions Peter Berger a écrit un livre court mais suggestif : A Rumor of Angels.
Berger a tracé des chemins vers une redécouverte du « surnaturel », même au milieu de la modernité laïque. Il parlait de « signaux de transcendence ».
Le livre de Berger m’est venu à l’esprit alors que je terminai The Second Mountain: The Quest for a Moral Life de David Brooks (« La deuxième montagne : la quête d’une vie morale »), un partage généreux de son propre parcours vers une prise de conscience et une acceptation de la réalité de Dieu, dans le monde et dans sa vie. Il y réfléchit à l’insuffisance d’un individualiste et d’un matérialiste en quête de renommée, de richesse et de pouvoir. Il plaide pour le besoin pressant dans l’Amérique contemporaine d’une éthique relationnelle, d’un engagement renouvelé pour le bien commun.
Parmi les nombreuses personnes dont il s’inspire pour cette entreprise, on compte Martin Buber et Dorothy Day, Martin Luther King et Jean Vanier. Mais, pour moi, le cœur du livre n’est pas l’exhortation morale, mais la révélation spirituelle personnelle. Et cela apparaît le plus explicitement dans le plus long chapitre du livre, intitulé (avec une fantaisie Brooksienne typique) « La tournure la plus inattendue des événements ».
Bien sûr, chaque parcours spirituel est unique, le fruit d’une histoire et de relations, des incidents, voire des accidents qui, rétrospectivement, se révèlent providentiels. Élevé dans une famille juive aimante et intellectuellement orientée qui « a mis la citoyenneté avant la foi », Brooks a fait ses premières études dans des écoles chrétiennes et, surtout, dans des camps d’été.
En repensant à ces années de formation à New York, il avoue : « J’ai grandi soit comme le juif le plus chrétien de la terre, soit comme le chrétien le plus juif, une situation difficile rendue viable par le fait que j’étais certain que Dieu n’existait pas, donc, que toute l’affaire n’avait qu’une importance théorique. »
Maintenant, dans l’un de ces paradoxes qui ravissaient tellement G.K. Chesterton, le mot grec « theoria », englobe non seulement la « spéculation », mais aussi l’« observation», la « considération », voire la « contemplation ».
Et dès son plus jeune âge, Brooks a observé de près. Il a vu et a été frappé par l’architecture de Chartres, qui s’élève en flèches. Une fois adulte, il considérait avec admiration la beauté naturelle d’un lac de haute montagne dans les Rocheuses du Colorado et s’en délectait.
Et dans une épiphanie de type Thomas Merton, un jour, il a émergé du métro de Penn Station, à New York, « entouré comme toujours par des milliers de personnes, silencieuses, maussades, se traînant vers le travail ». Mais en cette occasion pleine de grâce, il a envisagé, pas une foule sans nom, mais « des âmes vivantes ».
Il a « pris conscience d’une profondeur infinie » dans chacune d’elles et, avec cette prise de conscience – un sentiment de connexion intime – à « une âme sous-jacente dont nous sommes tous un morceau ».
Des signaux de transcendance, donc, dans l’art, dans la beauté naturelle, dans l’unicité des personnes. Et – surtout chez les personnes – peut-être même comme une rumeur d’anges. Mais encore plus que des « anges » ? Une indication de « Dieu » ? Dans ce moment de « kairos » à Penn Station, Brooks a envisagé « une pensée tout à fait merveilleuse » : « s’il y a des âmes, c’est un court saut vers la croyance qu’il y a quelque chose qui respire des âmes en nous à travers un acte de soin et d’amour ».
Pour Brooks, comme pour tant d’autres, ce court saut s’est finalement produit pendant une période prolongée de perplexité et de souffrance due à la désintégration d’un mariage qui le définissait depuis près de trente ans. Dans son récit personnel, il n’y a pas d’exaltation romantique de la souffrance, pas d’octet à la consonance facile comme : « pas de douleur, pas de profit ! » Pourtant, il admet, sur le ton de la confession, que la souffrance peut « briser l’illusion de l’autosuffisance » et nous ouvrir à réaliser notre dépendance radicale à l’égard des autres. Dans une reconnaissance révélatrice, il écrit : « Parfois, lorsque la souffrance peut être reliée à un récit plus vaste de changement et de rédemption, nous pouvons parvenir à la sagesse par la souffrance ».
Brooks a découvert que le récit plus vaste du changement et de la rédemption dans la Bible – qu’il s’approprie alors non seulement comme le « mythe » fondateur d’un peuple, mais comme le véritable « mythe », transmis par un peuple historique, qui est celui de la libération spirituelle de l’homme.
Mais qu’en est-il de ce juif radicalement perturbateur, Jésus de Nazareth, dont le nom était passé sous silence lorsque lui et d’autres jeunes juifs chantaient des hymnes dans la chapelle de l’école Grace ? Qu’en est-il de cette épilogue provocateur de la Bible juive que les chrétiens appellent le Nouveau Testament ?
Brooks souligne qu’après sa révélation et sa prise de conscience que « tant que Dieu est encore un grand mystère, on n’est pas athée », il s’identifie non seulement comme culturellement juif, mais également comme religieusement juif. Pourtant, dans une absolue candeur, il insiste : « Je ne peux pas ne pas lire Matthieu». Il fait explicitement référence au Sermon sur la montagne et plus particulièrement aux « Béatitudes » de Jésus. Il y trouve « la feuille de route ultime pour notre vie. »
Jésus est-il alors un gourou spirituel, le dernier des prophètes d’Israël ? Brooks déclare librement que (comme nous tous), il est toujours en chemin. Il se débat toujours, par exemple, avec le sens de la résurrection de Jésus. Mais on sent que pour lui, Jésus est bien plus qu’un sublime professeur de morale. Il cite Romano Guardini sur les Béatitudes : « Ce ne sont pas les simples formules d’une éthique supérieure, mais des annonces de l’entrée de la réalité sacrée et suprême dans le monde ».
Puis, de sa propre voix, il confesse : « Jésus est la personne qui nous montre à quoi ressemble le don de soi. Il n’a pas fait preuve de miséricorde, il est la miséricorde. Il n’a pas offert l’amour parfait, il est l’amour parfait. »
Cela représente-t-il ce que l’un des poètes préférés de Brooks, T.S. Eliot, célèbre : « L’indice à moitié deviné, le don à moitié compris, est l’Incarnation ? »
Au milieu d’intimations aussi gracieuses et d’appréhensions aussi obscures, David Brooks poursuit son cheminement de foi. Dans ce livre, il nous offre, à nous, ses compagnons de pèlerinage, un témoignage bienvenu de ce qu’Abraham Heschel a appelé la recherche de Dieu par l’homme, et la réalité antérieure et durable de la recherche par Dieu de l’homme.
Il nous laisse donc, selon une bonne manière rabbinique, avec cet étonnant exercice intellectuel et contemplatif : « Considérez la possibilité qu’une créature d’amour infini nous ait fait une promesse. Considérez la possibilité que nous soyons ceux qui sont engagés, les objets d’un engagement infini, et que l’engagement soit de nous racheter et de nous ramener à la maison. »
Et il résume l’étape actuelle de son voyage : « Je suis un Juif errant et un chrétien très confus, mais comme mon rythme est rapide, comme mes possibilités sont ouvertes, et comme mes espoirs sont grands ! »
Robert Imbelli, prêtre de l’archidiocèse de New York, est professeur agrégé émérite de théologie au Boston College. Il est l’auteur de Christic Imagination: How Christ Transforms Us (« Imagination christique : comment le Christ nous transforme »), qui est disponible sur Now You Know Media.
https://www.thecatholicthing.org/2019/07/11/david-brooks-itinerarium-mentis-in-deum/?fbclid=IwAR08IOj8hFnW_NFNAoF-uOhwRMf9EujNIPOsWghU8lmecWSrGIoYrw_00bI