William Blackstone, ce vénérable commentateur de la loi anglaise, a fait remarquer que c’était une contradiction dans les termes de suggérer que la loi puisse reconnaître un principe révolutionnaire. Et pourtant, James Wilson, un des plus grands esprits parmi les pères fondateurs américains, a insisté sur le fait que la loi en Amérique pouvait effectivement inclure un principe révolutionnaire.
Ainsi, la loi en Amérique a commencé avec la reconnaissance qu’il pouvait y avoir une loi injuste – mesure passée avec tous les attributs de la légalité et pourtant imparfaite dans la substance même de la justice. Les américains pouvaient facilement comprendre ce point car ils avaient à l’origine une compréhension des vérités morales et des droits naturels tout à fait indépendante des lois qui étaient « avancées » ou mises en place partout. Et ce corps de lois naturelles pouvait fournir les critères pour juger de la rigueur de la justice sur les sujets promulgués comme lois.
Mais vers la fin du 19° siècle, la loi naturelle est devenue un objet de dérision parmi les juristes. De nos jours, les conservateurs ont aiguisé la réaction contre la loi naturelle, tandis qu’ils se dégageaient des juges libéraux, se déplaçant à l’extérieur du texte de la constitution, inventant de nouveaux droits de contraception et d’avortement. C’étaient des constructions fausses du droit naturel, mais il fallait, pour les contrer, montrer ce qui était faux dans leur raisonnement.
Toutefois, les conservateurs perdaient confiance dans le raisonnement moral, et du coup, leur stratégie ingénieuse a consisté à éviter toute allusion à un quelconque raisonnement moral.
Quand Robert Bork fut nommé à la Cour Suprême en 1987, il avait le profil remarquable de professeur et de sage juriste, mais avec une profonde ambigüité à propos de la loi naturelle. Lors des séances infamantes qui ont présidé à son intronisation, le président du comité judiciaire du Sénat était le redoutable Joe Biden. Faisant face à un « positiviste » légal, Biden a pensé qu’il embarrasserait Bork en faisant valoir une position ferme sur la loi naturelle.
En tant qu’enfant de Dieu, je crois que mes droits ne dérivent pas de la constitution. Mes droits ne dérivent d’aucun gouvernement. Mes droits ne dérivent d’aucune majorité. Mes droits viennent du fait que j’existe. Ils m’ont été donnés, ainsi qu’à chacun de mes concitoyens, par notre créateur, et ils représentent l’essence même de la dignité humaine.
Biden avait adopté cette position parce que Bork était susceptible de voter contre le jugement Roe contre Wade. Ce droit à l’avortement était traité à présent par la gauche comme un type même de « droit naturel ». Et pourtant, James Wilson avait soulevé la question : Si nous avons des droits naturels en tant qu’êtres humains, quand commencent-ils ? La réponse : dès que nous commençons d’exister. Et voilà pourquoi, comme le disait Wilson, la loi civile étend sa protection sur les êtres humains « dès que l’enfant est capable de bouger dans le sein de sa mère. »
En dépit de ses antécédents catholiques, Joe Biden était et demeure aujourd’hui un ardent défenseur du droit à l’avortement. Et cependant, si j’ai ces droits, « comme enfant de Dieu…….parce que j’existe, » l’enfant in utero doit être porteur des mêmes droits. Comment une femme enceinte pourrait-elle alors avoir le droit d’effacer les droits naturels de l’enfant par le simple moyen de supprimer, d’un coup, le porteur de ces droits ?
La position de Biden aurait pu être compréhensible, je pense, s’il ne considérait pas que l’enfant in utero était un être humain sur le même plan qu’un autre humain. Mais si nos droits ne dépendent pas du vote de majorités, comment serait-il possible que le simple fait pour nous d’être considérés comme des êtres humains puisse être laissé à l’appréciation de majorités, au parlement ou à la cour de justice ? Ou pire : que la décision puisse être laissée à la femme et à l’homme qui ont déjà trouvé un intérêt dans le fait de tuer un enfant.
Mais quatre ans plus tard, Biden s’est trouvé délivré de ce problème. Il avait à présent face à son comité, pour les audiences, Clarence Thomas qui était chargé de l’outrage de prendre parfois au sérieux la loi naturelle. Cette nouvelle menace envers Roe contre Wade a marqué un changement à 180 degrés.
Dans une Tribune libre du Washington Post, Biden a prévenu que si nous avions des juges qui de nouveau prenaient au sérieux la loi naturelle, ce serait un retour en arrière au temps des juges réactionnaires qui avaient résisté au New Deal dans les années 1930, et à sa régulation du monde des affaires. Nous retournerions, disait-il, aux genres d’enseignements que proposait le professeur Arkes dans son livre ridicule, Premières choses.
Les années ont passé, et Joe Biden s’est installé dans les clichés que proposaient les Cuomos et autres Pelosis : Il n’imposerait pas, par la loi, les « croyances » « personnelles » qu’il avait absorbées par sa religion. Mais en ce qui concerne l’avortement, l’Eglise n’en a jamais appelé aux « croyances ». L’enseignement s’est appuyé sur les faits de l’embryologie, et vassur un raisonnement basé sur des principes.
Comme il s’agissait d’enseignements de morale, pour tout le monde, ils n’avaient jamais été « personnels ». Nous avons constaté la profonde répugnance des évêques à défier les principaux politiciens catholiques qui ont proposé ce faux-fuyant oh combien familier, car ils ne veulent pas que ces politiciens soient accusés du délit de prendre des ordres de leur Eglise.
Et pourtant, on se demande pourquoi on ne pourrait pas dire quelque chose d’aussi simple que ceci : L’Eglise ne voudrait pas dire aux Bidens et aux Cuomos ce qu’ils doivent dire pour faire leur carrière en politique, mais ils n’ont certainement moralement aucun droit de tromper une vaste audience de catholiques à propos des enseignements de leur propre Eglise.
13 Août 2019
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/08/13/joe-bidens-adventures-in-the-natural-law/
Tableau : Moïse brisant les tables de la Loi, par Rembrandt van Rijn, 1659 [Gemäldegalerie, Berlin]