« Telle est la caractéristique de… la révélation divine que la réalité qu’elle affirme est, d’une manière particulière, identique à l’acte de révélation ainsi qu’à son témoignage. C’est une situation presque sans équivalent ailleurs dans le monde. Le « presque » est destiné à laisser la place à la seule exception possible, la situation dans laquelle une personne se tourne vers une autre et lui dit : « Je t’aime ». Cette déclaration n’est pas non plus principalement censée informer une autre personne d’un fait objectif séparable de l’orateur. C’est plutôt une sorte de témoignage de soi… Et conformément à cette condition, la seule façon pour le partenaire de prendre conscience de l’amour offert est de prendre en lui-même ce qui lui est dit… Il ne peut vraiment le « savoir » qu’en entendant l’aveu verbal et en le « croyant » ; alors seulement, l’amour de l’autre deviendra vraiment présent pour lui; alors seulement il y participera vraiment. » (Josef Pieper)
« Je t’aime, dit l’homme à la femme.
– Voilà une intéressante déclaration, répond la femme, mais je ne suis pas sûre de ce qu’elle signifie, ni de la manière dont je dois y répondre. »
N’étant pas sûre, elle se tourne vers des experts pour obtenir de l’aide.
« Étudions la phrase « Je t’aime » dans plusieurs expressions culturelles, déclare un expert. En français, on dit « Je t’aime ». En allemand « Ich liebe dich ». En indonésien, on dit « Saya cinta padamu ». Et chez les Hopi « Nu ‘umi unwa’ta », qui littéralement signifie « je-ton-cœur-beaucoup ». Peut-être qu’une étude de diverses pratiques culturelles exprimant l’amour vous aidera à comprendre la déclaration et à éclairer la crédibilité de cette expression.
Il importe de réaliser, par exemple, que dans de nombreuses cultures, les hommes expriment l’amour mais ne le pensent pas. Ou bien veulent dire différentes choses en fonction de leur culture. »
Trouvant tout cela très savant et même plutôt intéressant, mais pas particulièrement utile dans son cas particulier, la femme fait appel à d’autres experts. L’un d’eux suggère que la déclaration « Je t’aime » est simplement une autre façon de dire qu’elle devrait participer au mouvement mondial du socialisme-communiste. Un autre dit que « Je t’aime » signifie « Je ne te jugerai pas, quoi que tu fasses ». Un troisième insiste sur le fait que l’affirmation « Je t’aime » est simplement l’expression du désir de procréer et de transmettre son matériel génétique.
Un de ses amis plus « expérimenté » insiste pour dire : « Quand un homme dit « Je vous aime », cela ne signifie rien de plus que « Je désire avoir des relations sexuelles avec vous ». Ne cherche rien de plus que ça. Si tu y consens, très bien, dis « D’accord ». Ne demande rien de plus. C’est « l’amour moderne ». Accepter ce fait te rendra plus forte. »
Un scientifique se demande s’il est possible d’effectuer un test pour valider la réalité de cet « amour ». Des électrodes pourraient peut-être être raccordées au cerveau du jeune homme, ou son sang pourrait être prélevé lorsque la femme est présente et comparé à un prélèvement lorsqu’elle est absente, pour voir si des variables scientifiquement significatives peuvent être détectées pour conférer de la crédibilité à cet « amour », si une telle chose existe réellement.
Pensant que les théologiens pourraient peut-être savoir quelque chose au sujet de l’amour, la femme va voir un théologien qui lui dit que « je t’aime » est simplement la façon dont l’homme choisit de se révéler à elle. Mais comme la connaissance de lui et de sa volonté sera toujours au-delà de sa portée, elle devrait simplement oublier d’essayer de comprendre soit lui, soit son amour, et juste apprendre à s’aimer davantage elle-même, car c’est le seul sens du mot « je t’aime » qui pourrait peut-être être pertinent pour elle.
Anniversaire par Marc Chagall, 1915 [Musée d’Art moderne, New York]
Donc, au lieu de comprendre l’accent de la phrase de cette façon, « Je t’aime », puisque le « je » prononçant la phrase sera toujours finalement inconnaissable, elle devrait concentrer son attention de cette façon : « Je t’aime ». C’est-à-dire vous êtes aimable. Apprenez à connaître votre caractère aimable.
Cela sonne bien et est d’une certaine manière rassurant, mais ne donne toujours pas à la femme la réponse qu’elle cherche. « Je suis peut-être aimable, mais suis-je aimée ? » se demande-t-elle. « Est-ce qu’il m’aime ? Ou est-ce que ces mots sont vides et sans signification dans un monde vide et sans signification ? »
Un théologien allemand, conscient de la gravité de sa question, dit à la femme qu’il serait nécessaire de traduire cette expression brute et archaïque en un idiome plus crédible pour les personnes instruites modernes. Cela aurait plus de sens, insiste-t-il, de décrire « l’amour » comme l’horizon fondamental dans lequel tous les désirs sont pour le bénéfice de l’autre en tant que l’autre doit être compris.
Par conséquent, dire « je t’aime », c’est s’associer à ce fondement essentiel de toute réalité et de toute volonté d’exister, de manière à affirmer fondamentalement l’existence de l’autre tout en refusant de « thématiser » l’essence-existence de cette personne dans ses propres catégories a priori.
« Je t’aime », poursuit-il, est une expression qui, tout en exprimant une réalité intemporelle, ne peut être vécue que dans cette vie dans le temps, en mouvement. D’où la possibilité qu’il puisse fluctuer, tout en restant stable dans son état primitif. Ainsi, l’expression de l’amour est plus ou moins authentique dans la mesure où elle se rapproche de cet idéal, bien qu’elle ne puisse jamais être pleinement réalisée dans cette vie.
Cela semble savant, mais comme la femme ne sait pas trop ce que cela veut dire, elle décide qu’elle n’est peut-être pas une des « personnes modernes et instruites » pour qui ce genre d’appel rendrait l’amour plus «crédible». Elle décide alors de demander à quelqu’un d’autre.
Un jour qu’elle tombe sur sa grand-mère, elle lui demande comment elle peut comprendre les mots « je t’aime » et comment elle peut croire qu’ils sont vrais.
« Oh, ma chérie, dit sa grand-mère, tu ne peux pas connaître l’amour de la même manière que tu sais de quel type de papillon il s’agit, ou que tu connais les détails de la guerre de 1812. Tu ne peux connaître l’amour et comprendre l’amour qu’en aimant. Tu ne peux pas le comprendre de manière neutre, de l’extérieur, et ensuite décider d’y entrer. Tu dois d’abord y croire, accepter sa possibilité, puis y participer. Mais il n’y a aucun moyen de l’évaluer de manière neutre, de l’extérieur. Tu dois prendre le risque. Tu dois lui ouvrir ton cœur et ton esprit, au moins comme une possibilité. Ensuite, tu le vis. Mais si tu ne veux pas risquer sa véracité, tu ne sauras jamais s’il est vrai ou non. »
Cela parait nettement moins savant à la femme, mais lui semble finalement plus sage, d’autant que sa grand-mère s’est toujours révélée être une personne qui comprend et embrasse pleinement l’amour. Elle choisit donc de croire en sa grand-mère et au témoignage de la vie de sa grand-mère, et elle prend le risque.
Et cela, comme l’a écrit un jour le poète Robert Frost, « fait toute la différence ».
(7 août 2019)
Source https://www.thecatholicthing.org/2019/08/07/can-i-believe/
Randall B. Smith est titulaire de la chaire de théologie à l’Université de St. Thomas à Houston. Son livre le plus récent, Reading the Sermons of Thomas Aquinas: A Beginner’s Guide (Lecture des sermons de Thomas d’Aquin: Guide du débutant), est maintenant disponible sur Amazon et chez Emmaus Academic Press.
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