Au moment de l’alunissage de 1969, personne ou a peu près ne pensait à l’avance au cinquantième anniversaire. A la place, ceux qui n’étaient pas attachés à avilir les Etats-Unis – il y en avait autant à l’époque que maintenant, à mon avis – étaient en train de contempler leur fausse éternité. Les têtes vides des médias, par exemple, se tournaient vers l’avenir de bases lunaires, d’expéditions sur Mars, Jupiter, Saturne, Pluton et vers les étoiles.
Ils se retournaient vers les frères Wright. Seulement quelques décennies plus tard, nous avions les jets supersoniques et les engins spatiaux. Imaginez ce que ce serait dans quelques décennies supplémentaires !
Les deux spectacles – le premier vol d’un plus lourd que l’air et le premier alunissage – étaient des réussites techniques, chacune impressionnante à sa façon. Mais aucun des deux n’était ce que les spécialistes du battage médiatique appellent un « changement des règles du jeu ». C’était plutôt la manipulation d’une technique maîtrisée afin de produire un résultat théâtral.
Dans le cas Wright, la chose authentiquement impressionnante était la démonstration d’un système contrôlant le tangage, le roulis et les embardées d’un avion. C’était un ensemble de volets, à la fois élégant et comique. Les très nombreux autres chercheurs ayant travaillé sur les engins volants ailés se sont concentrés principalement sur les moteurs et la poussée. Mais le véritable problème n’était pas d’obtenir la portance. Il était de ramener l’engin au sol sans perdre le pilote.
De même avec la NASA. Envoyer un homme vers la Lune, même le poser sur la surface lunaire (peut-être durement), cela aurait pu être fait des années plus tôt. Le ramener sur Terre en un seul morceau, tel était le véritable défi.
La chose la plus impressionnante concernant les premiers pilotes et astronautes était une qualité spirituelle : leur courage. Cela est vrai dans toute cascade risquée, que la cascade soit ou non nécessaire. J’admire le courage.
Vous n’auriez pas pu me faire monter dans cette capsule Apollo. Bon, personne ne me l’a demandé, pour autant que je m’en souvienne. (L’ont-ils demandé aux singes soviétiques?) J’ai fait d’autres choses à l’époque qui étaient téméraires, mais je n’en ai pleinement pris conscience qu’après coup. Aucune n’impliquait une aventure extra-terrestre. Je n’aurais d’ailleurs pas non plus tenté ma chance sur ce genre de bicyclette volante le long de cette plage de Caroline du Nord.
J’étais cependant heureux de contempler, en 1969 – le cœur battant, comme un milliard d’autres spectateurs – et je ne suis toujours pas entièrement remis de ce frisson.
Il y a de la poésie dans la technique avancée, et il y a de la vérité dans la poésie. Cinquante ans plus tard, cela me frappe que la répétition de Neil Armstrong, alors quelque peu bâclée, blabla à propos d’ « un petit pas pour l’homme », était fondamentalement fausse. C’était le genre de choses venant d’agences publicitaires. Il n’y avait pas de « pas de géant pour l’humanité ». Ce n’était que vantardise.
Non, la véritable poésie de cet événement a été convoyée à mes oreilles par une radio grésillante. C’était un échange technique discret, naturel. Et c’était si formidablement beau :
« Ici la base de la Tranquilité. L’Aigle s’est posé. »
C’était quelque chose à inscrire dans le tableau des âges, à côté du « Thalassa, thalassa » de Xénophon. Cela ressemblait étrangement au message qui s’est répandu dans les camps de prisonniers en Allemagne, depuis les rivages de Normandie : « les alliés ont débarqué ». C’était une victoire ailée.
Mais, encore une fois, ce n’était rien de plus que ce que j’ai lu le lendemain dans un journal suisse – non pas en une, où la manchette de l’histoire avait été inexplicablement omise, mais dans les pages « science et technique » (section 3). Les Suisses imperturbables étaient raisonnablement impressionnés par les Américains, mais ont présenté convenablement l’alunissage comme étant une prouesse technique.
Je suivais l’histoire de près dans tous les médias alors disponibles ; j’ai toujours des réminiscences de Walter Cronkite et du reste de l’équipe terrestre orchestrant l’euphorie publique. Cependant, ce qui est resté profondément gravé dans ma mémoire, c’étaient les paroles discordantes de John Maddox, rédacteur de longue date de l’hebdomadaire anglais de science ‘Nature’.
Lui seul regardait cinquante ans en avant. Il a dit qu’une fois le programme Apollo achevé, personne ne se poserait plus sur la Lune. Cela parce que cela n’aurait pas grand intérêt.
« Cette entreprise de transporter des gens à travers le système solaire restera énormément difficile » a-t-il patiemment expliqué, « et pour le futur prévisible, il n’y a pas de projet qui en vaille la peine ».
La Pan Am prévoyait vers l’an 2000 des vols vers la Lune pour les vacances. Le docteur Maddox pensait qu’une estimation plus raisonnable serait dans 250 ans (si cela arrivait jamais). Il n’y a toujours pas de congés lunaires. La Pan Am elle-même a depuis longtemps disparu (NDT : depuis 1991).
Maddox était ce même grincheux qui croyait que la planète était bien plus résistante dans son écologie, qu’elle avait une plus grande capacité à supporter que ne l’imaginaient les alarmistes environnementaux de l’époque. Il distillait des sarcasmes acides sur les prévisions de surpopulation catastrophique, de famine, de pénurie mortelle de ceci ou de cela. Il avait la remarquable aptitude de regarder les faits, y compris les grands événements de la vie, d’une façon calme et détachée. (Tout ce qu’on prédisait alors devoir manquer est maintenant significativement moins cher et plus abondant.)
Il était athée, ce gentleman, du moins c’est ce qu’on m’a dit. Pourtant il avait au moins une des caractéristiques du chrétien qu’on n’admire pas suffisamment. Il ne pouvait pas être ébloui par des déclarations techniques prétentieuses, ou par des gens qui éparpillent d’innombrables statistiques incompréhensibles. (Ce qui est considéré actuellement comme « science ».)
Car dans une vision chrétienne, l’Homme, en l’absence de Dieu, reste un vermisseau. Il est le plus petit moucheron éphémère face au cosmos. Par moment, il peut sembler être un vermisseau volant ; un papillon de nuit fasciné par une chandelle. Il peut se nourrir de la vanité de rêves, mais à la fin, il est poussière et doit retourner à la poussière.
Comme Thomas Gray l’a constaté, « les chemins de la gloire ne mènent qu’à la tombe ».
Cela, je l’ai tiré de son « Elégie écrite dans un cimetière de campagne », il y a plus de 250 ans. Cela reste vrai et le sera au cours de tous les siècles à venir, dans ce monde limité par l’espace et le temps. « La science » est un engouement passager ; nous oublions cette poésie à nos risques et périls.
David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une profonde expérience du proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : l’alunissage selon Georges Méliès dans son film de 1902 « Le voyage dans la Lune »
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/07/19/paths-of-glory/