De nos jours, « Vertu » est un mot qui n’est pas autant employé qu’il devrait.
Lorsqu’il est utilisé, c’est souvent avec une acception erronée telle que « don moral » – une qualité innée que certaines personnes ont tandis que d’autres ne l’ont pas. Mais la vertu, à la différence d’un don, n’est pas quelque chose d’inné. Nous débutons tous dans la vie, non pas comme des hommes ou des femmes vertueux, mais comme des tyrans : moralement innocents, peut-être, mais néanmoins tyranniques. Nonobstant la grâce de Dieu, grandir en vertu demande beaucoup de travail.
L’idée même de vertu est antithétique d’une certaine sensibilité moderne, la réticence à reconnaître que nous sommes quelque part responsables de devenir plus que ce que nous sommes déjà. C’est beaucoup plus facile de simplement nous affirmer et d’exiger, avec toujours plus de véhémence, que nous soyons célébrés pour nos insuffisances plutôt que d’être appelés à en sortir. Lorsque la miséricorde signifie ne jamais avoir à dire qu’on est désolé, pourquoi se donner la peine de grandir en vertu ?
Peut-être est-ce une raison pour que parler de la vertu soit quelquefois considéré comme étrange. Les anciennes définitions de la vertu – une habitude de l’âme en accord avec la raison, la nature et la modération – repose sur des concepts (nature ? raison ?) qui sont incompréhensibles pour une grande partie du monde contemporain. Dans certains contextes, parler d’une « voie toujours plus excellente », même dans l’Église, est pour ainsi dire une micro-agression.
Le pape François a insisté à juste titre sur le fait qu’une véritable réforme doit consister en plus que des protocoles et des procédures. Quelles que puissent être l’importance et la nécessité des récentes réformes législatives et administratives, l’Église ne peut se sortir elle-même de cette crise. La véritable réforme vient toujours de la fidélité au Christ et à l’Évangile. Sans conversion au Christ, les réformes les mieux conçues s’avèreront inefficaces. Un véritable renouveau exige que les deux voies se réforment : des modifications de structure et d’administration, ainsi que la conversion continue et la croissance dans la sainteté.
Parce que la sainteté et la vertu ne sont pas exactement la même chose, la seconde est la voie la plus sûre pour arriver à la première. La grâce construit et perfectionne la nature. Les plus hautes vertus, les vertus théologales – la foi, l’espérance et la charité – prendront d’autant mieux racine que l’on possède les vertus cardinales : tempérance, force, prudence et justice. Le besoin de ces vertus se voit plus intensément dans les conséquences de leur absence.
La tempérance est la vertu par laquelle on contrôle les appétits pour les biens naturels tels que la nourriture, la boisson et le plaisir sexuel. La tempérance consiste non seulement à maîtriser les appétits, mais à bien savoir lesquels sont adaptés à son état de vie. Ainsi, la tempérance n’est pas seulement de garder le contrôle sur ses appétits corporels, elle est aussi de savoir ce pourquoi sont faits ces appétits, afin qu’ils puissent être dirigés en conséquence.
Un homme qui ne sait pas la véritable destination des appétits corporels trouvera difficile d’acquérir la vertu de bien les diriger. Et il aura du mal à nommer le vice dans ceux qui sont aussi intempérants que lui. Que les vices illustrés par les accusations contre l’évêque Michael J. Bransfield – harcèlement sexuel sur séminaristes, excès de boisson, dépenses inconsidérées – se trouvent ensemble ne devraient surprendre personne.
Ensuite, il y a la force. Est-ce que quelqu’un peut prétendre à l’abondance de cette vertu dans le haut clergé ? Il y a certainement des hommes courageux parmi les évêques, mais est-ce que la conduite des évêques considérés collectivement a montré une volonté à faire face, à affronter, l’effondrement de la crédibilité qu’ils se sont eux-mêmes imposé. Y a-t-il un catholique américain qui doute qu’une fausse collégialité – des évêques qui refusent de corriger leurs frères évêques – soit devenue une des caractéristiques de la conférence des évêques ?
Où sont les évêques avec le courage de dire en public des choses que leurs autres frères évêques ne veulent pas voir dévoilées publiquement ? Où sont les pasteurs qui considèrent que les âmes de leur troupeau sont plus importantes que la peur de la désapprobation de leurs frères évêques, ou même de Rome ? Si les évêques ne peuvent se résoudre à être francs les uns avec les autres, comment leurs ouailles pourront-ils croire qu’ils sont francs avec nous.
Bien sûr, la force est plus que la volonté de secouer le bateau ou de se battre ; parfois, cela exige le genre d’endurance et de patience qui peut sembler à certains comme le contraire du courage. Savoir quelle forme de courage est requise dans quelles circonstances, fait partie de la prudence.
La prudence est une vertu pour guider les autres vertus. Tous les protocoles et les programmes pour prévenir les abus dans le monde n’élimineront jamais le besoin d’un bon jugement de nos évêques sur des questions très difficiles.
Comment le diocèse doit-il répondre aux enquêtes agressives des autorités civiles ? Comment l’évêque doit-il peser les exigences de la justice pour les victimes des abus avec sa responsabilité de sauvegarder le patrimoine de son diocèse ? Comment un évêque doit-il être un père spirituel pour ses prêtres sans compromettre la transparence et la responsabilité, d’un côté, ni succomber à un modèle corporatif, aseptisé et axé sur les ressources humaines, de l’autre ?
Et comment un évêque doit-il faire la distinction entre les fautes et les erreurs de jugement, de la malfaisance, la négligence, la malveillance ? Comment fait-on ? Il s’avère que la prudence est un pré-requis pour la quatrième vertu cardinale : la justice.
La justice. Quel manque de justice dans tout ce désordre sordide et interminable ! À combien de victimes a-t-on refusé la justice parce qu’on n’a pas cru leurs histoires ? Ou pire, parce que ces histoires furent ignorées ?
Combien d’amis et de membres de familles partagent la souffrance d’une personne aimée qui a été abusée, puis qui souffre à nouveau lorsque l’Église commet une parodie de justice en négligeant les victimes et en protégeant leurs abuseurs ?
Combien la vertueuse colère des fidèles a-t-elle été accueillie avec condescendance ou indifférence par des évêques qui ont rarement souffert eux-mêmes des conséquences de leur propre malfaisance.
La vertu n’est pas réservée aux évêques, évidemment. Elle est pour chacun de nous. Et la prochaine génération de prêtres et d’évêques viendra de quelque part. Ceux d’entre nous qui ne porteront jamais mitre ni crosse ne devraient jamais oublier cela, sinon, nos enfants l’oublieront. Pour que des réformes structurelles portent des fruits, elles devront être incarnées et animées par des hommes et des femmes intègres et vertueux.
C’est là une tâche pour chacun. Elle ne peut attendre.
(1er août 2019)
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/08/01/the-virtues-of-reform/
Illustration : Les sept Vertus par Francesco Pesellino et son atelier, v. 1450 [Musée d’art de Birmingham, Alabama]
Stephen P. White est membre des Études Catholiques au Centre de politique publique et d’éthique de Washington.
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