Homélie pour les funérailles du Général Jean Delaunay - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Homélie pour les funérailles du Général Jean Delaunay

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Cher Jean,

Je vous connais depuis près de 40 ans : Vous étiez alors le chef de l’armée de terre et moi je terminais ma scolarité à l’Ecole de guerre avant de rejoindre votre état-major.

J’ai un souvenir précis de la première fois où je vous ai observé : vous traversiez la cour des Invalides et vous marchiez seul, derrière le cercueil d’un de vos commandants de région dont vous veniez d’achever l’éloge funèbre par un vibrant A-Dieu (à Dieu en 2 mots). La famille suivait à 20 pas derrière, signe que vous étiez le premier à porter le deuil. Quand j’y repense j’ai toujours cette image présente à l’esprit.

Mais la rencontre décisive a eu lieu quelques mois plus tard. Vous deviez participer à une réunion au sommet sur un sujet technique mais complexe et très coûteux. Et j’avais été désigné pour préparer une fiche vous proposant la position de l’armée de terre sur cette question. Les 4 niveaux hiérarchiques intermédiaires s’étaient contentés de transmettre ma fiche sans commentaires et vous m’avez téléphoné pour me demander de venir à votre bureau ; à l’époque j’étais pour vous un inconnu.

J’ai tout de suite compris que vous ne partagiez pas ma manière de voir, mais vous avez pris le temps de me dire pourquoi. J’ai alors pu reprendre mon argumentation et vous exposer pourquoi ce qui était bien à l’époque serait inopérant 20 ans plus tard et que nous serions démunis devant l’évolution de la menace. Vous m’avez alors dit cette phrase étonnante que j’entends encore : « Marescaux, tout ceci, personne ne me l’avait dit ! »

Quelle humilité ! Et en même temps quelle grandeur !
Car l’humilité ne consiste pas à se mésestimer mais à reconnaître que ce que l’on est, on l’a reçu. C’est d’ailleurs une des premières vertus chrétiennes. Marie qui n’est pas bavarde dans les évangiles, dit dans son Magnificat : Le Seigneur s’est penché sur son humble servante – c’est bien ainsi qu’elle se présente – mais pour ajouter aussitôt : désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

Alors, en sortant de votre bureau, j’ai compris que j’avais gagné votre confiance, ce que vous ne m’avez pas dit, ou plutôt si, mais 30 ans plus tard, et vous, vous avez acquis mon admiration définitive, ce que, naturellement, je ne vous ai pas dit non plus.

Plus tard nous sommes devenus amis et voisins. Et c’est il y a 5 ans que vous m’avez demandé de prononcer l’homélie de vos funérailles, ce dont je m’acquitte aujourd’hui.

* * *
Les textes que nous venons d’entendre ont été choisis par Monique et par vos enfants. Pour des raisons de calendrier l’évangile du centurion est très rarement lu à la Messe du dimanche et je ne l’avais jamais entendu lire pour des obsèques, Mais ils m’ont expliqué que pour eux ce texte s’imposait, tant il décrivait bien ce que vous avez été et ce que vous avez vécu.

Alors regardons les choses d’un peu plus près :
Ce centurion, on dirait aujourd’hui ce capitaine, qui est-il ? St Luc ne nous donne pas son nom mais il nous le fait connaître en quelques phrases :

C’est d’abord un vrai chef militaire. Il le dit lui-même : j’ai des soldats sous mes ordres et lorsque je donne un ordre on m’obéit : on ne badine pas avec ces choses-là !

Ce centurion est en opération extérieure, en OPEX comme on dit maintenant. Quelle est sa mission ? Eh bien il est chargé de maintenir l’ordre dans une région où les groupes extrémistes sont nombreux et toujours prêts à fomenter de l’agitation ou des émeutes, émeutes que l’armée romaine est entrainée à réprimer aussi efficacement que brutalement.

Mais cet homme va beaucoup plus loin : il a compris, et ceci bien avant Lyautey, qu’il s’agit d’abord d’aimer et de servir les populations auprès desquelles il reste bien sûr en mission de maintien de l’ordre. Les notables juifs ne s’y sont pas trompés puisqu’ils plaident auprès de Jésus afin qu’il guérisse l’esclave de ce centurion : « Il mérite que tu lui accordes cela. Il aime notre nation, c’est lui qui nous a construit la synagogue.» Ils plaident et en même temps ils bénissent (parce que bénir, cela signifie dire du bien) ; ils bénissent ce païen étranger, membre de l’armée d’occupation, parce qu’ils sont étonnés par son comportement.

Enfin et surtout ce centurion est un homme de foi

De même qu’il connaît l’efficacité de ses ordres auprès de ses soldats, il a compris que la parole de Jésus est efficace et qu’elle peut même opérer à distance.

St Luc ajoute que Jésus fut dans l’admiration et qu’il dit à la foule qui le suivait : « Je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi ». Cet émerveillement de Jésus n’est cité que deux fois dans tout l’évangile, ici avec le centurion de Capharnaüm et l’autre fois avec la Cananéenne du pays de Tyr et de Sidon.

Et on a bien l’impression que tout ce récit a été écrit non pas d’abord pour nous raconter un miracle mais pour mettre en valeur la foi de cet étranger.
On ne connaîtra pas son nom mais l’Eglise a repris sa déclaration ; elle est citée à chaque Messe, chaque jour et dans le monde entier : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.»

Cher Jean, votre foi a commencé au sein de votre famille, elle a évolué avec Monique.
Vous avez été ensemble pendant 60 ans aux équipes Notre-Dame qui constituaient (je vous cite) le cadre et l’aiguillon de votre vie chrétienne.

Dans votre dernier livre intitulé « En écho à Saint-Ex » vous consacrez plusieurs chapitres à exposer ce que vous croyiez et ce qui vous faisait vivre, avec des exemples très concrets dont je me permets de recommander la lecture.

Permettez-moi de citer un exemple personnel : il y a plus de 20 ans, bien avant que je songe au diaconat, j’avais eu des inquiétudes importantes de santé. Les amis rencontrés dans la rue s’efforçaient de me rassurer : tu es entre de bonnes mains, la médecine fait des progrès, beaucoup s’en sortent… Quant à vous, Jean, vous avez été sans ambages : « Henri, dans votre situation, le Chrétien n’a qu’une seule solution, s’en remettre entièrement au Christ ! »

Dans vos conférences, dans vos livres, dans vos testaments à destination des uns et des autres, dans vos billets hebdomadaires de France –Valeurs que vous animiez depuis plus de 30 ans vous faisiez l’éloge des vertus individuelles, à commencer par le courage, la générosité, l’honnêteté, le sens des responsabilités (et d’abord vis-à-vis chacun de sa propre famille) ; vous parliez aussi des vertus sociales qui favorisent la cohésion nationale comme la discipline, le sens du bien commun, le respect des autres et le sens du service, notamment chez les élites.

Voilà en quoi vous ressemblez si bien au centurion de Capharnaüm.

* * *

Je voudrais maintenant m’adresser à vous les parents et amis de Jean et Monique, vous qui constituez cette assemblée, et je voudrais m’adresser particulièrement à ceux que je ne connais pas : je ne sais pas qui est Dieu pour vous, je ne sais pas qu’elle est votre foi ; et je ne sais pas comment vous avez reçu tout à l’heure ces textes que nous avons entendus, je ne sais pas non plus ce qu’évoque pour vous l’expression « Messe d’action de grâces » alors que nous sommes dans la peine.

Vous avez le droit de ne pas comprendre ; mais cela ne doit pas vous empêcher de constater comment d’autres reçoivent ces textes et en vivent.

Le témoignage que vous nous donnez ces jours-ci, Monique et toute votre famille, par votre sérénité et par votre sourire, traduisent votre espérance, de même que le réconfort que vous apportez autour de vous. Tout ceci en a étonné plus d’un, parmi vos proches.
Vous le savez, l’évangélisation consiste rarement à prêcher devant des foules, elle consiste beaucoup plus à vivre sa foi dans la vie de tous les jours mais particulièrement dans les moments difficiles, de sorte que les autres se demandent à l’exemple des notables juifs de l’évangile : qu’est-ce qui fait qu’ils sont ainsi ? Il me semble que c’est une question que certains peuvent se poser en ce moment.

* * *

Cher Jean,

Vous écriviez à votre famille le 3 mai dernier : « Nous mesurons, Monique et moi, la chance merveilleuse de notre vie. »
Et vous terminiez ensemble par cette recommandation : « Merci de continuer à aimer et à servir, chacun là où il est » : Aimer et servir il me semble que tout est dit dans ces deux mots.

Je voudrais achever en citant une coïncidence ou un petit miracle : vous avez été visiteur de prison depuis 1953 ; vous accompagniez des hommes qui avaient été condamnés à de lourdes peines, les perpètes, comme vous disiez, c’est donc une mission que vous avez accomplie pendant 66 ans ! Eh bien le dernier avec lequel vous échangiez chaque semaine vient d’être libéré il y a quelques jours.

Alors je crois fermement que vous pouvez vous appliquer cette phrase de St Paul : « Je me suis bien battu, je suis allé jusqu’au bout de ma course. J’ai été fidèle. »

Et je crois aussi que le Christ qui est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour, comme dit le psaume que nous avons chanté tout à l’heure, vous aura répondu : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître. »

Amen.

Henri Marescaux, diacre permanent.