Peut-être est-il utile de revenir quelque peu sur cette épineuse question du féminicide que j’évoquais hier, afin de préciser certaines affirmations que je ne pouvais suffisamment développer. Tout d’abord, oui il est vrai que la formule de « féminicide » ne me satisfait pas, car elle ne se contente pas de désigner le fait détestable et tragique de plus d’une centaine de meurtres de femmes en France par an. Elle évoque une sorte de fléau de grande ampleur dans la mesure où elle est calquée sur le « génocide ». Le génocide renvoie à un massacre de grande ampleur. Et là-dessus, je suis tout à fait d’accord avec Élisabeth Lévy. Si poignant soit le drame des femmes tuées par leurs compagnons il est mensonger de prétendre qu’il serait caractéristique d’un mal qui atteindrait toute la société. Non, les femmes de France ne sont pas menacées par un génocide. Une propagande insidieuse voudrait nous persuader d’un danger omniprésent. « C’est confondre, nous dit Élisabeth Lévy, la déviance qui est déjà condamnée par la loi et par la société et la norme à laquelle se conforme l’écrasante majorité de notre pays. »
J’ajoute une seconde précision à propos de la citation d’Albert Camus que j’empruntais à Pierre-André Taguieff : « Il n’a pas été dit que le bonheur soit à toute force inséparable de l’optimisme. Il est lié à l’amour – ce qui n’est même pas la même chose. » Camus, en son temps, visait une certaine conception de l’histoire, de type progressiste et largement inspirée par un marxisme alors prédominant dans l’intelligentsia. Il était entendu que l’humanité, grâce à l’énergie révolutionnaire, allait infailliblement vers un accomplissement qui se confondait avec la fin de l’histoire. Le combat féministe peut participer de cet optimisme qui veut que, grâce à l’émancipation de la société, les femmes parviennent à une condition radicalement transformée. La réalité va à l’inverse de l’idéologie, car elle nous renvoie à l’humilité de notre condition. Le bonheur des hommes et des femmes, celui de leurs enfants, ne dépend pas des mirifiques promesses de l’optimisme historique. Il dépend de notre disposition à aimer. Oui, nous rappelle Albert Camus, notre bonheur est lié à l’amour que nous sommes capables d’offrir et de recevoir. Sans doute faut-il prendre des mesures nécessaires quand cet amour défaille et que le malheur s’instaure. Mais rien ne fera contre la vérité indépassable de l’hymne à l’amour de saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens : « S’il me manque l’amour, je ne suis rien. »
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 4 septembre 2019.