L'Asie à travers l’expérience des MEP - France Catholique
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L’Asie à travers l’expérience des MEP

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Il m’est bien difficile de proposer, dans les délais d’une unique conférence, un panorama complet, dans l’espace et dans le temps, de l’œuvre accomplie par les missionnaires en Asie, et plus particulièrement par ceux qui furent membres des Missions Etrangères de Paris, dont j’eus l’honneur d’être le supérieur général de 2010 à 2016.

En moins de quatre siècles, les Missions étrangères ont envoyé quelques 120 prêtres originaires des Pyrénées-Atlantiques dans les lointaines contrées de l’Extrême-Orient. Au seuil de cette conférence, je crois en mon devoir de rendre hommage à la foi, à la persévérance, au zèle apostolique, à la générosité héroïque de ces pionniers du Christ, qui, au péril de leur vie, ont sillonné l’Asie pour y publier les merveilles du Christ, parmi eux, nous avons une pensée particulière pour le Père Jean-Baptiste Etcharren qui fut supérieur général de notre institut avant moi et dont je fus l’assistant. Il sert toujours au Vietnam et n’a pas oublié le pays basque, la terre de ses racines, de sa famille.

Le sujet qu’il me revient de traiter est aussi vaste que la campagne chinoise… Il est pour ainsi dire impossible de parler d’une manière univoque et monolithique de l’Asie, parce que ce continent gigantesque renferme un ensemble disparate de cultures, de religions, de paysages, de populations… et que l’annonce de la foi n’a évidemment pas eu le même écho suivant les contrées où elle fut proclamée. Partout où les apôtres des Missions Etrangères de Paris semèrent la Bonne Nouvelle du salut, l’évangile acquit un éclat que, jusqu’alors, nous ne lui avions pas connu : au Siam puis en Thaïlande, au Vietnam, en Chine, au Cambodge, en Inde, au Laos, au Japon, en Corée, en Malaisie, en Birmanie, à Singapour…

L’histoire des Missions Etrangères de Paris recouvre 360 années de combat pour la foi, qui ne pourront être que succinctement évoquées. Elle sous-tend des formes d’apostolat extrêmement variées suivant les directives du Saint-Siège, les aléas de l’histoire locale, les capacités, la physionomie spirituelle des protagonistes et la lente maturation de la foi observable dans les régions de l’Extrême Orient, comme on disait jadis. Notons d’emblée que l’Eglise a élevé aux honneurs des autels 23 de nos missionnaires, sanctionnant l’héroïcité et la victoire toute surnaturelle de leur œuvre. La Société des Missions Etrangères de Paris compte 180 martyrs.

L’évangile contient un élément divin, immuable, et un élément humain, qui s’ajuste aux besoins spirituels et aux contraintes culturelles des populations qui l’accueillent. N’oublions jamais que notre religion est la religion de l’Incarnation et que le Fils de Dieu lui-même, venant habiter parmi nous, voulut adopter les coutumes et les manières d’un peuple donné. Aujourd’hui, il poursuit dans les missions cette œuvre prodigieuse de condescendance.

Fidèle à son ultime promesse, Jésus-Christ continue, en son Corps mystique qui est l’Eglise, à rayonner au-delà des limites du temps et de l’espace : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».

Les enseignements de l’histoire sont des promesses d’avenir. Aussi souhaiterais-je offrir une courte histoire des Missions étrangères de Paris avant d’introduire quelques perspectives d’avenir, qui peuvent et doivent faire l’objet d’une réflexion sur le long terme, afin de nous guider dans notre effort missionnaire.

Petite histoire des Missions étrangères de Paris.

Au milieu du XVII° siècle, le père Alexandre de Rhodes, jésuite envoyé à plusieurs reprises en Extrême-Orient, obtint du pape alors régnant, Alexandre VII, l’envoi en Asie de trois évêques français volontaires, dans le but de créer un clergé autochtone, ces trois évêques furent les premiers vicaires apostoliques dans l’historie de notre Eglise. Ce clergé serait apte à poursuivre l’annonce de la foi et pourrait l’adapter aux mœurs des populations évangélisées. Les délégués du Saint-Père auraient le rang de vicaire apostolique : ils jetteraient les fondements d’une Eglise autonome, avec à sa tête un clergé pieux et bien formé, qui ne serait pas mêlé, de près ou de loin, au jeu politique des puissances coloniales.

Contrairement aux grands ordres nés de la réforme tridentine – tels que les Jésuites -, les Missions Etrangères de Paris n’étaient à l’origine ni un ordre religieux, ni une congrégation autonome. Il s’agissait plutôt d’une simple association de prêtres diocésains, incardinés dans leur diocèse d’origine et mis à la disposition de la Congrégation De Propaganda Fide, appelée « la Propagande », aujourd’hui Congrégation pour l’évangélisation des peuples.
Alexandre de Rhodes vit en François Pallu, un membre insigne de la Compagnie du Saint-Sacrement, la personne idéale pour mener à bien son projet. Il soutint sa candidature à Rome et obtint sans peine sa nomination (C’est le Père Bagot, S.J. qui « repéra » Pallu, Lambert de la Motte et Cotolendi, tous les trois membres de la Compagnie du saint sacrement et de l’association des bons amis). Avec les bénédictions d’Alexandre VII, François Pallu et son ami Pierre Lambert de la Motte, jetèrent en 1658 les fondements des Missions Etrangères de Paris. Pierre Lambert de la Motte reçut en partage le vicariat de la Chine méridionale et partit le premier, accompagné d’une petite vingtaine de prêtres et de laïcs, en juin 1660. François Pallu le suivit un an après et fonda pour sa part le vicariat du Tonkin. Enfin, Ignace Cotolendi, vicaire apostolique de Nankin, prit le large en janvier 1662, ayant reçu en partage les provinces orientales de la Chine. Il mourut en route, en Inde, ainsi que huit autres missionnaires, parmi lesquels se trouvaient des Fidèles laïques.

Il fallait une véritable grandeur d’âme pour se résoudre à entrer aux Missions Etrangères de Paris, en des temps où la distance exposait à de longs et périlleux voyages sans jamais promettre le retour. Issus de familles généralement très pieuses mais peu fortunées, beaucoup de candidats missionnaires se heurtèrent à l’opposition frontale de leurs proches. La rupture familiale, radicale et définitive, était une épreuve douloureuse pour tous, et dramatique pour certains qui durent s’enfuir en secret, sans faire leurs adieux.

Jusqu’au seuil du XVIII° siècle, le gros œuvre de nos missionnaires fut l’évangélisation du Tonkin, de la Cochinchine, du Cambodge et du Siam, ainsi que l’établissement d’un premier séminaire autochtone à Ajuthia, au Siam. Ce pays fut au commencement le plus prometteur. En un demi-siècle, plus de 40.000 indigènes reçurent le baptême, trente-trois furent ordonnés prêtres et un ordre religieux féminin fut créé à la frontière de l’Annam (Les Amantes de la Croix), ces beaux projets répondaient pleinement à l’intuition d’Alexandre de Rhodes. Peu à peu se dessinait le visage d’une église locale, acculturée aux coutumes et aux mœurs de civilisations pluriséculaires, mais où la spécificité du christianisme et la nouveauté révolutionnaire de l’Evangile étaient protégées de toute confusion, de toute compromission. Les missionnaires mettaient en pratique les instructions du Pape Alexandre VII aux fondateurs des Missions Etrangères « N’exportez pas la France, l’Espagne ou le Portugal, quoi de plus stupide ! Empressez-vous de respecter et d’adopter les coutumes et les traditions de ces peuples lorsqu’elles ne sont pas contraires à la religion… ». Ces conseils étaient précédés d’autres recommandations (ne pas faire de politique, ne pas faire de commerce…), ceci nous montre que les prédécesseurs des missionnaires MEP, les missionnaires religieux du Padroado ( patronage confié aux rois d’Espagne et du Portugal de la fin du 15ème jusqu’au XVIIème siècle) avaient pratiqué ce que Rome interdisait…

L’action des missionnaires était exploitée par la France, qui profita des initiatives de la société des MEP pour établir une certaine complicité diplomatique et commerciale avec l’Indochine et les Indes. Ces projets louables d’entente et de rayonnement furent parfois desservis par des maladresses d’ordre militaire. Le gouvernement français utilisa les persécutions en Chine pour imposer le traité de Tianjin établissant sous Napoléon III le protectorat des missions en le confiant à la France. Cette décision qui ne fut pas une décision romaine empoisonna la vie de l’Eglise. La République laïque s’empressa de garder ce monopole qui fut astucieusement détourné par l’envoi d’un légat pontifical en Chine, le Cardinal Celso Costantini, lequel fit un admirable travail. Cette nomination fut le fruit de la visite en Chine de Mgr Budes de Guébriant et du rapport qu’il remit à la Congrégation De Propaganda Fide.

En 1773, la suppression de la Société de Jésus amorça un tournant décisif dans l’histoire des Missions Etrangères de Paris, qui reçurent en partage de poursuivre l’œuvre commencée en Inde. Les Missions Etrangères de Paris s’étoffèrent du soutien d’anciens jésuites demeurés comme prêtres séculiers et elles connurent un prodigieux rayonnement sous l’impulsion d’évêques remarquables.

Il serait fastidieux de citer tous les noms des grands missionnaires, parmi eux des évêques. Je citerai simplement Mgr Gabriel Taurin Dufresse dans le Sichuan, originaire de Lezoux dans le Puy-de-Dôme, canonisé par le Pape Jean-Paul II en 2000. Il fut l’organisateur à Shanghai du premier synode de l’Eglise en Chine et fut décapité au Sichuan en 1815 et Mgr Pigneau de Behaine en Cochinchine. Au soir du XVIII° siècle, la Société comptait six évêques, plus de cent trente-cinq prêtres indigènes, neuf séminaires où étudiaient deux cent cinquante étudiants. Elle administrait les sacrements à quelque 300.000 fidèles, conférant entre 3.000 et 3.500 baptêmes à l’année.
Fort malheureusement, la Révolution dite française mit un terme à la croissance rapide de la Société des M.E.. Pendant cet épisode tragique de notre histoire nationale, aucun prêtre des Missions étrangères n’accepta la Constitution civile du clergé. Tous furent fidèles à Rome et les directeurs à Paris furent contraints à un exil forcé. Parmi les martyrs des Carmes figurait le père Urbain Lefebvre, membre des Missions étrangères. Il reçut la palme du martyre aux côtés de son compagnon d’infortune, le bienheureux Pierre-Louis de La Rochefoucauld-Bayers, dernier évêque de Saintes en Charente Maritime. Après avoir été confisqué comme bien national, le Séminaire des Missions étrangères fut habilement racheté par le Père Thomas Bilhère, qui obtint également la restauration de la Société, définitivement rétablie sous Louis XVIII.

La société reprit rapidement ses activités au XIXe siècle, et l’essor de ses missions fut rapide et considérable. Elle reçut un appui financier et moral substantiel de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, fondée par Pauline Jaricot, ainsi que l’estime et la confiance amplement méritées du Saint-Siège. En 1831, le pape Grégoire XVI confia à la Société la Corée et le Japon, puis, en 1838, la Mandchourie, en 1841, la Malaisie, en 1846, le Tibet et l’Assam. En 1849, les Missions étrangères reçurent du bienheureux Pie IX trois autres provinces de Chine et, en 1855, la Birmanie. Enfin, en 1952, le pape Pie XII demanda à la Société de prendre en charge le nouveau diocèse de Hualien, à Taïwan.

Si le sang des martyrs avait déjà béni l’œuvre des Missions Etrangères de Paris, ce fut au cours du XIXe siècle que leur nombre augmenta. Mgr Dufresse, vicaire apostolique du Sichuan, fut décapité en 1815 ; Gagelin, Joseph Marchand, François Jaccard, Jean-Charles Cornay et Pierre Borie versèrent leur sang pour le Christ de 1833 à 1838 ; de 1850 à 1862, Augustin Schoeffler, Théophane Vénard, Auguste Chapdelaine, Étienne-Théodore Cuenot, vicaire apostolique de la Cochinchine orientale, vinrent ajouter leurs noms glorieux à la longue liste des témoins morts en haine de la foi, ainsi qu’un nombre considérable d’autres prêtres, catéchistes et religieuses indigènes. En Corée, Mgr Laurent Imbert, vicaire apostolique, et les pères Pierre Maubant et Jacques Chastan furent torturés et décapités en 1839, puis, en mars 1866, lors de grandes persécutions, les suivirent neuf autres prélats dont Mgr Siméon-François Berneux, les pères Antoine Daveluy et Henri Dorie.

Ces persécutions, largement décrites en Europe dans les livres et les journaux grand-public, provoquèrent pitié et colère. Mais elles furent également un révélateur très efficace de vocation à l’apostolat (le rôle des Annales de la Propagation de la foi) : « le sang des martyrs est une semence de chrétiens », disait déjà Tertullien Elles poussèrent les nations européennes, en particulier la France et l’Angleterre, à intervenir en Cochinchine et en Chine. Pendant la révolte des Boxers, neuf missionnaires furent assassinés, parmi lesquels Mgr Laurent Guillou, en juillet 1900, vicaire apostolique de Mandchourie. En Corée, une expédition navale limitée spécialement montée se déroula de septembre à novembre 1866. Au XXe siècle, les persécutions reprirent avec l’avènement du communisme en Chine, la guerre d’Indochine et la déstabilisation du Laos. Plusieurs missionnaires des MEP offrent leur vie dans ces pays, dont Marcel Denis, René Dubroux, Lucien Galan, Jean-Baptiste Malo et Noël Tenaud, béatifiés en décembre 2016. D’autres aussi valeureux ne sont pas encore canonisés (le Père Audigou au Vietnam). Si tous les missionnaires ne sont pas morts martyrs, cet itinéraire de sainteté demeure le cœur de la spiritualité des Missions étrangères, également appelées « l’Ecole polytechnique du Martyr – le séminaire des missions impossibles ».

Nous fêtons cette année le centième anniversaire de l’encyclique Maximum Illud du pape Benoît XV, cette encyclique fut donnée par le Pape à la suite du voyage en Chine de Monseigneur Budes de Guébriant, supérieur général des M.E.P., visiteur apostolique en Chine. Elle est à l’origine de l’érection de nombreux diocèses, de la hiérarchie autonome au Vietnam et en Chine à partir des années 1920, ce qui fut toujours l’ambition des Missions Etrangères de Paris.

Les vocations étaient nombreuses dans la centaine de séminaires tenus par les M.E.P. 5 000 séminaristes asiatiques en 1940, aucun destiné à la Société des Missions Etrangères, tous formés et incardinés dans les diocèses et vicariats apostoliques pour la mission dans leurs pays respectifs.

L’établissement des hiérarchies locales autochtones trouva son achèvement après la deuxième guerre mondiale. Il fallut du temps, rappelons-nous que Mgr Pallu souhaitait, au XVIIème siècle dispenser les prêtres chinois de l’étude du latin et ordonner douze évêques chinois ! Etait-il en avance de trois siècles ?

Depuis les origines, aux prêtres, aux catéchistes et aux religieux s’était jointe une foule considérable de médecins, de fidèles, d’aventuriers. Par le service de volontariat, mis en place en 2003, des étudiants et de jeunes professionnels peuvent prendre une part active à cette œuvre d’évangélisation qui continue aujourd’hui avec l’envoi des prêtres et de 150 jeunes volontaires missionnaires laïques chaque année.

L’Asie chrétienne en perspective.

« La mission auprès des non-chrétiens est-elle encore actuelle, s’interrogeait Paul VI ? N’est-elle pas remplacée par le dialogue interreligieux ? La promotion humaine n’est-elle pas un objectif suffisant ? Le respect de la conscience et de la liberté n’exclut-il pas toute proposition de conversion ? Ne peut-on faire son salut dans n’importe quelle religion ? Alors, pourquoi la mission ? »

Au sein du monde asiatique, le christianisme représente une certaine forme de nouveauté, indissociable de la présence occidentale jadis, beaucoup moins aujourd’hui, pour deux raisons.

La première raison est que la facilité des échanges permet aux Asiatiques de connaître la situation de l’Eglise dans les pays européens et en Amérique. Il savent que nous vivons dans des sociétés sécularisées, avec des différences qui caractérisent d’une certaine manière la France, l’Italie, etc… Ils savent ce qu’il en est de « la pratique religieuse » en France et ailleurs… Ils sont informés des projets de réforme sociétale (G.P.A. , P.M.A.) qui contredisent l’anthropologie chrétienne…

La seconde raison est que l’évangile dans de nombreux pays a d’abord été annoncé par des apôtres venus d’Orient et non d’Occident (Chine : stèle de Xian, Inde : Saint Thomas Mount)

Le christianisme connut une implantation difficile dans les pays de l’Orient septentrional – Chine Mandchoue, Corée, Japon -, en raison des précédents culturels et religieux et d’une identité civilisationnelle bien établie ; pour autant, dans les provinces de l’Orient méridional – Siam, Cochinchine, Cambodge -, il fit une progression rapide et laissa des fruits durables au sein des peuples éclairées par le travail de la grâce. Au Japon comme en Chine ou en Corée, si l’implantation du christianisme a été laborieuse, elle a perduré malgré des siècles d’interdiction et de persécution. L’histoire des chrétiens dans ces pays, c’est l’histoire d’une fidélité. Depuis quelques années, les nombreuses conversions montrent que la foi chrétienne correspond également à un phénomène dynamique et en pleine croissance. Cette double dimension constitue, sous un certain rapport, un avantage appréciable, puisqu’un grand nombre découvre l’évangile avec une innocence, une fraîcheur qui fait tomber bien des partis-pris et qui remet en cause les préjugés qui se sont épanouis, en Occident, au cours des siècles passés. Il existe en Orient une véritable soif du sacré, qui transparaît dans bien des aspects de la vie. Face au matérialisme ambiant et à la misère morale d’un monde de plus en plus marqué par la solitude, les inégalités sociales et de grands bouleversements d’ordre civilisationnel, la jeunesse manifeste un grand désir d’absolu et le besoin intime d’un enseignement qui transcende ses horizons, transcende sa vision de la vie, enrichisse son existence. Voici ce qu’écrivait saint Paul VI, dans le décret Ad Gentes : « Les différences qu’il faut reconnaître dans l’activité missionnaire de l’Église ne découlent pas de la nature intime de la mission mais des conditions dans lesquelles elle est accomplie. Ces conditions dépendent soit de l’Église, soit même des peuples, des groupes humains ou des hommes à qui s’adresse la mission. Car l’Église, bien que de soi elle possède la totalité ou la plénitude des moyens de salut, n’agit pas ni ne peut agir toujours et immédiatement selon tous ses moyens ; elle connaît des commencements et des degrés dans l’action par laquelle elle s’efforce de conduire à sa réalisation le dessein de Dieu ; bien plus, elle est parfois contrainte, après des débuts heureux, de déplorer de nouveau un recul, ou tout au moins de demeurer dans un état d’incomplétude et d’insuffisance. En ce qui concerne les hommes, les groupes humains et les peuples, elle ne les atteint et ne les pénètre que progressivement, et les assume ainsi dans la plénitude catholique. Les actes propres, les moyens adaptés doivent s’accorder avec chaque condition ou état ».

Pour autant, cette nouveauté soulève également un grand nombre de difficultés. En effet, le christianisme doit faire face non seulement à l’islam, mais encore à une myriade de sagesses qui dominent la vie spirituelle de l’Asie : il s’agit essentiellement du bouddhisme, mais également du taoïsme, de la religion populaire et de diverses expressions du chamanisme ancestral, qui fut reconnu et codifié, après de légères transformations dues à l’introduction de pratiques bouddhistes, sous les empereurs de la dynastie Qing Mandchoue (du XVII° au début du XX° siècle). Notons enfin, en Chine, l’influence prépondérante du confucianisme qui, aujourd’hui plus en retrait, n’en constitue pas moins le bain culturel de toutes les sagesses en vogue dans le monde oriental, du bouddhisme au taoïsme. Ces différentes formes de religiosité et de sagesse ne présentent pas seulement une incompatibilité théologique avec le christianisme, mais également une grande différence anthropologique et culturelle.

Cette différence est perceptible et de nombreux Asiatiques s’aperçoivent que la plupart des démocraties qui permettent l’alternance politique, assurent le respect de la dignité de la personne humaine, de ses droits, des libertés publiques, sont des systèmes politiques qui ont vu le jour dans les pays de tradition chrétienne. Ils découvrent dans le christianisme un art de vivre qui les conduit vers le Christ. C’est l’objectif de la mission : présenter le Christ, le faire connaître, faire aimer son Eglise. Il ne s’agit pas seulement de transmettre des valeurs, mais le Christ, l’unique sauveur !

L’Eglise en Asie est aujourd’hui dotée d’une hiérarchie autochtone dans une écrasante majorité de pays. Elle accueille des missionnaires qui sont, sauf exception, une force d’appoint, mais surtout le signe de la catholicité de l’Eglise. Vivre dans une même Eglise locale, annoncer l’évangile ensemble (prêtres locaux et missionnaires venus d’Eglises sœurs), Annoncer l’évangile dans des sociétés qui n’ont pas de racines chrétiennes, où la culture n’est pas influencée par le christianisme et où le fait minoritaire caractérise les communautés chrétiennes est une expérience qui est instructive pour nous en Europe, continent dans lequel nous assistons à une mutation anthropologique et où la pratique religieuse chrétienne devient aussi un fait minoritaire. Il y a toutefois une différence avec l’Europe. Les communautés chrétiennes sont minoritaires, mais en croissance, les vocations sont proportionnellement plus nombreuses qu’en Europe, l’évangile ne laisse pas les gens indifférents.

Par ailleurs, l’expérience du communisme a laissé dans les coutumes, les mœurs, le mode de vie et l’esprit des sociétés asiatiques des stigmates qui n’ont pas encore cicatrisé. Il faudra du temps pour que soient reconstitués le tissu social et l’harmonie familiale propice à l’épanouissement intégral de la personne humaine. C’est précisément sur ce point que l’Asie attend la contribution irremplaçable de l’Eglise. Elle a une œuvre monumentale de réconciliation, de pacification et de restructuration des sociétés et des esprits à accomplir. Ces attentes ne doivent pas être déçues et placent à un très haut niveau d’exigence l’importance des conversions que l’Occident, gagné par le matérialisme et l’hédonisme, doit réaliser, afin de venir au secours de sa sœur d’Extrême-Orient. Des réformes qui tendent à négliger la place de l’homme, à ne pas respecter la vie de l’homme de la naissance jusqu’à ses derniers jours, remettent en cause l’anthropologie chrétienne. L’Europe, symbole de christianisme pour l’Asie se paganise. Quel sera le terrain d’expérimentation du christianisme dans les décennies qui approchent, sera-t-il en Asie , L’Europe saura-t-elle se réveiller ?

« Christianiser, c’est humaniser », écrivait saint Augustin. Cela est bien vrai. En présentant sa lettre encyclique Redemptoris Missio, saint Jean-Paul II écrivait en ce sens : « Ce qui me pousse plus encore à proclamer l’urgence de l’évangélisation missionnaire, c’est qu’elle constitue le premier service que l’Eglise peut rendre à tout homme et à l’humanité entière dans le monde actuel, lequel connaît des conquêtes admirables mais semble avoir perdu le sens des réalités ultimes et de son existence même ».

 Nous le voyons, cet effort d’humanisation s’adresse à chacun d’entre nous en Europe et en Asie.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Colomb_(%C3%A9v%C3%AAque)