A l’heure de la première messe dans Notre-Dame de Paris blessée mais debout
Voici une expression de la conscience chrétienne
de la France douloureuse et humiliée mais voulant rester fidèle
…à la manière de Léon Bloy
L’ardente sueur de sang de Notre-Dame
Scène d’apocalypse révélant l’impuissance des hommes sous le regard de Dieu, Notre-Dame de Paris, ce vaisseau spirituel amarré au cœur de la France depuis près de neuf siècles de prière, a été prise dans une tourmente inexorable. La présence souffrante de la Mère du Christ est apparue dans le ciel en lettres de feu, plus haut que le cri des cathédrales détruites par les guerres mondiales qui ont ravagé l’Europe au siècle passé.
Dévorée par les flammes, la flèche de Notre-Dame qui levait une main de piété vers Dieu s’est abattue soudain, pour s’effondrer sur le reste de l’édifice comme en signe de déréliction. Ce crépuscule aux lueurs sanglantes annonçait une nuit de Gethsémani et une Passion nouvelle aux foules médusées, rassemblées muettes d’effroi sur les deux rives de la Seine en cette singulière Semaine sainte.
Un cortège d’injustices et de scandales, érigés en modèles de vertu civique par des parangons de cynisme, avait provoqué des drames à faire sangloter les pierres, et des souillures à faire vomir les volcans : toxicomanie à échelle industrielle et prostitution systématique des corps et des esprits. Leurs intermédiaires crochus ont véhiculé des idolâtries délétères, dans un culte effréné de l’Argent-Roi et d’Eros, de Cythère à Sodome et Gomorrhe.
On avait aussi éloigné les pauvres du centre des villes, de même qu’on aurait empêché le sang d’affluer au cœur d’un homme, au prix de la transformation des vieilles cités en citadelles de l’égoïsme social le plus sordide.
Après les flagellations des apostasies et des affronts au Décalogue, il n’y avait pas de refuge pour l’Indignation de Dieu, vagabonde en guenilles hagarde et famélique dont personne n’a eu pitié dans les modernes Mégalopoles. Cette fille errante avait vu concevoir des enfants : elle rêvait de les prendre dans ses bras, mais le monde a arraché de son sein ces innocents, les a massacrés, a jeté leurs petits corps dans de sinistres poubelles, avant de les broyer, et d’en faire un commerce lucratif abominable après une cuisine infâme et sacrilège.
Pour le service de l’Eglise, il y avait, d’un côté les prêtres qui ne sont pas de ce monde, des prêtres pauvres et fidèles n’ayant jamais vu que le Christ crucifié ; et de l’autre, le clergé de l’intelligentsia mondaine, que la Vierge de la Salette désigna jadis avec un insondable chagrin comme un « cloaque d’impureté »…
Mais l’Indignation de Dieu a laisser éclater sa colère. Dies Irae, c’était l’heure de réduire en cendres les illusions vaniteuses des potentats orgueilleux. Et l’heure de soulager la misère atroce d’un peuple tout entier qui souffre d’anorexie spirituelle, et dont l’âme tragiquement desséchée a été ravagée par les incendies psychiques asphyxiants du matérialisme.
A la place des orgues à la voix étouffée par les cendres encore fumantes, les doigts des Anges se sont étendus sur les claviers des tornades pour clamer le message de l’Indignation de Dieu.
Quand Marie, Mère du Sauveur, avait présenté son divin Fils au temple de Jérusalem, le vieillard Siméon l’avait prévenu qu’un poignard lui percerait le flanc : à Paris, c’est une lame de feu qui a cruellement atteint son vaisseau de pierre, en le frappant jusque dans ses entrailles embrasées par une chaleur infernale.
Du fond de la géhenne de la nef dévastée par cette fournaise, entourées des décombres encore fumants tombés des voûtes effondrées et des charpentes consumées, la statue de Marie et la Croix glorieuse de son divin Fils, miraculeusement rescapées de ce supplice, semblent dire à chaque homme : « Souviens-toi que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière ».
Désormais, au pied de la Croix, à l’heure de l’ultime miséricorde, Marie paraît prête à partir en pèlerinage avec le peuple de Paris, vers l’Absolu de l’Espérance qui manquait aux cœurs mutilés et aux âmes déprimées.
A la manière de Léon Bloy
Denis LENSEL