« C’était stupide. Combien a-t-il coûté ? ». Eh oui, j’ai trouvé le foutu téléphone de mon fils dans le lave-linge ce matin en voulant faire une autre lessive. Je n’ai rien dit alors. Je l’ai simplement posé sur le dessus du sèche-linge. Mais maintenant que mon fils le tripotait à la table du petit déjeuner, l’air morose, tout en tentant de le rappeler à la vie, je voulais souligner le point.
Il a répliqué pour se défendre : « Ce n’est pas comme si j’avais essayé de le casser. » Ah, la vieille esquive, presque la première chose qu’un enfant apprend à dire. Un enfant de trois ans dit que c’était « un accident ». Chez un adolescent, la même idée est mêlée de sentimentalisme naissant : « Ne vois-tu pas, papa, que je suis tout autant affecté que toi ? » Sa tristesse montre qu’il n’est pas à blâmer, n’est-ce pas ? Il ne l’a pas souhaité. Comme il est cruel de ma part d’ignorer sa souffrance et même d’y ajouter !
Je pense en moi-même : il est presque un homme, je dois lui enseigner une différence importante. « Tu dois prendre conscience » ai-je dit, « qu’il y a deux façons d’avoir tort : délibérément et par négligence. La plupart du mal que nous faisons est de loin fait par négligence. Que tu n’aies pas voulu détruire ton téléphone ne signifie pas que tu n’es pas à blâmer. »
Mon fils, un bon garçon, a pris conscience qu’il était à blâmer. Il savait qu’il aller quitter la maison toute la journée pour gagner de l’argent. Et que ce qu’il allait gagner couvrirait juste le prix du remplacement du téléphone. Comprenant que la négligence est un péché contraire à la vertu de prudence, je choisis un langage qui, je le sais, va faire mouche, mais qui est tout-à-fait juste et qui, je l’espère marquera les esprits : « Félicitations, tu es l’idiot qui va aller travailler toute une journée sous le soleil pour remplacer son téléphone. »
La prudence a ses objections, mais elle manque du regret lancinant de sa folie.
(Oh, oui, pour finir, ma femme et moi allons probablement payer le téléphone. La rigueur n’exclut pas la compassion pour la faiblesse d’un fils ou d’une fille. Ce n’est pas de cela que je veux parler pour l’instant.)
Hélas, dans cet échange matinal, je n’avais pas saint Thomas sous la main. Il pose la question dans la Somme Théologique : « La négligence est-elle un péché séparé ? » (II-II,54). Il semblerait que ce ne doive pas être le cas, vu qu’il est tellement lié avec presque tout autre péché.
Mais « la négligence » dit le Maître, « dénote le manque d’une sollicitude due. Tout manque à un devoir est un péché : il est par là évident que la négligence est un péché et qu’elle doit nécessairement avoir le caractère d’un péché spécial tout comme la sollicitude est l’acte d’une vertu spéciale… Puisque la sollicitude est un acte spécial de la raison… il s’ensuit que la négligence, qui dénote un manque de sollicitude, est un péché spécial. »
Qu’est-ce que cette sollicitude ? C’est la même chose que la vigilance, et un acte spécial de la raison pratique, inclus dans la vertu de prudence. Elle dénote un empressement exigeant à porter attention à ce qui doit être fait.
Certains d’entre nous ont des sujets de sollicitude qui leur incombent en raison de tel emploi ou de telle responsabilité. Les conseilleurs financiers doivent montrer « un zèle obligatoire » en ce qui regarde les risques ; les comptables en ce qui regarde une présentation honnête : les médecins en ce qui regarde les meilleures pratiques de diagnostic et de traitement.
Mais qu’en est-il d’un simple être humain ? Y a-t-il des choses pour lesquelles nous devons obligatoirement montrer de la sollicitude, sous peine de négligence grave, simplement en raison des créatures que nous sommes censés être ? S’il en est ainsi, « je ne voulais pas » échoue finalement comme défense d’une manière de vivre choisie. Ou qu’en est-il des chrétiens, en vertu de leur baptême ?
Il est habituel de penser que le seul moyen de nous séparer de Dieu se fait par quelque rejet flagrant de sa volonté, équivalent à une criminalité cosmique. Les hypocrites, peut-être, sont également en danger parce qu’ils imposent aux autres des normes qu’ils rejettent délibérément en ce qui les concerne.
Mais Notre Seigneur a énormément insisté sur la « sollicitude » : « soyez donc vigilants car vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur viendra » (Matthieu 24:42). « Etre vigilant » commente le pape Saint Grégoire, « c’est rejeter l’obscurité de la paresse et de la négligence. »
Et immédiatement après cette parole de Notre Seigneur, suivent dans l’Evangile de Matthieu trois paraboles spécifiquement adaptées à la négligence.
*Les vierges folles (Matthieu 25:1-13) n’ont pas délibérément rejeté le jeune époux. Elles ont été négligentes – elles ont négligé d’apprendre quelque chose d’utile pour le salut (selon Origène) ou d’accomplir les actes de vertu qui en découlent (selon Saint Jérôme)
*L’homme qui a enterré son talent ne l’a pas jeté ou mal dépensé : il a simplement négligé de le faire fructifier (25:14-30). Voici ce que dit Origène : « Le Seigneur ne permet pas de dire qu’Il était un ‘homme dur’ comme le serviteur l’imaginait. Mais il est d’accord avec le reste. Il est réellement dur avec ceux qui abusent de la miséricorde de Dieu pour s’autoriser à être négligents et n’usent pas de cette miséricorde pour se convertir. »
*Quant aux chèvres, elles n’ont apparemment jamais délibérément fait de mal à qui que ce soit. Clairement, elles « ne voulaient pas » rejeter le Seigneur (25:31-45). Le péché qui les damne pour toujours semble avoir été de négliger les affamés, les assoiffés, les malades, etc.
Bien que la négligence concerne souvent des sujets insignifiants, elle est la faute qui conduit communément à une conscience faussée. Saint Thomas avertit que l’habitude de la négligence peut conduire à un grave acte intérieur de mépris de Dieu.
Comment savoir si nous sommes négligents au regard de la foi ? Tout le monde est attentif à quelque chose. Certains auteurs spirituels conseillent que nous nous demandions, comme point de départ : montrons-nous la même sollicitude pour la sainteté que pour les choses dont nous nous soucions vraiment dans notre profession, dans nos passe-temps préférés ?
« Le temps est venu de proposer à nouveau pleinement à tous ce haut standard de la vie chrétienne ordinaire » écrivait le pape Jean-Paul II dans sa lettre apostolique sur la vie de l’Eglise dans le nouveau millénaire, qui procure sûrement à cet égard un bon cadre d’auto-examen.
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Michael Pakaluk, spécialiste d’Aristote et ordinaire de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin, est le doyen intérimaire de l’école de commerce Busch de l’Université Catholique d’Amérique. Il vit à Hyattsville (Maryland) avec son épouse Catherine, également professeur dans le même établissement, et leurs huit enfants.
Illustration : « Allégorie de la négligence » par Joachim Beuckelaer, vers 1563 [Musée Royal des Beaux-Arts, Anvers, Belgique]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/28/i-didnt-mean-to/