On souligne à juste titre dans l’analyse des résultats de dimanche l’émergence d’un « pouvoir vert », surtout en Allemagne et même en France où la liste de Yannick Jadot a obtenu plus de trois millions de voix. Il apparaît aussi que le vote écologiste est surtout le fait des jeunes générations qui naissent à la vie civique, ce qui est plus qu’un signe. Oui le monde change, l’Europe et la France également, et la crainte climatique est désormais au cœur de l’interrogation politique. Cependant, il y a encore loin du souci écologique à une inscription originale dans les institutions. Yannick Jadot en est sans doute persuadé qui envisage les prochaines étapes de son combat avec les futures échéances électorales, y compris la plus redoutable pour lui-même et ses amis, la présidentielle.
Mais il est un autre aspect du problème qui est sans doute le plus important. C’est l’aspect idéologique. Si on peut parler d’une culture écologique, c’est que le sujet est suffisamment déterminant pour imposer une autre vision du monde. Encore celle-ci doit-elle être suffisamment structurée, approfondie pour dépasser le stade d’un engouement juvénile. Et de ce point de vue, le défi est redoutable. La droite et la gauche traditionnelles pouvaient, l’une et l’autre, se réclamer de traditions intellectuelles ancrées dans l’histoire. Pour l’écologisme, on serait plutôt devant une page blanche, d’autant qu’il s’agit d’opérer une franche rupture avec le passé. C’est à la fois une chance et un danger. La chance de penser à neuf des problèmes qui n’entrent pas dans les paramètres anciens, le danger de dériver gravement faute de repères anthropologiques sérieux. Exemple : lorsqu’on n’est plus capable de marquer la frontière entre l’animalité et l’humanité, il y a péril en la demeure, d’autant qu’il y a des précédents.
Fort heureusement, la réflexion peut se déployer à partir d’un corpus nullement négligeable. Faut-il rappeler que l’Église catholique est partie prenante – le Pape l’a montré par une encyclique, Laudato si’ – d’un débat qui a de profondes racines théologiques. Et puis un nom me vient spontanément à l’esprit, celui de Jacques Ellul, ce penseur radical, qui a d’ailleurs marqué des militants comme José Bové et Noël Mamère. Mais je ne suis pas persuadé qu’ils aient été vraiment cohérents avec la pensée de l’inspirateur. En tout cas, c’est à partir d’un Ellul et d’un Charbonneau, ou encore d’un Hans Jonas que l’écologisme a sa chance de trouver les assises de sa légitimité.