Comme le monde regardait brûler Notre-Dame, chacun se demandait ce qu’il y avait d’autre en train de brûler. De quoi l’immolation partielle d’une des plus pures cathédrales gothiques françaises était-elle le symbole ? L’extinction du christianisme en Europe – ou chez la fille aînée de l’Eglise, la nation de Clovis ? D’autres se demandaient si ce n’était pas la fumée plutôt que les flammes qui importait, ce signe prophétique d’avertissement, une incitation à se réveiller, à être attentif, à éteindre le feu maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Et à rebâtir.
Maintenant, Notre-Dame est là, une partie de ses voûtes effondrées, ses murs, debout depuis des siècles grâce à l’élégance de l’ingénieux système médiéval de répartition des poussées sur des voûtes et des contreforts, maintenant vulnérables à l’effondrement si un vent violent devait souffler sur Paris. Le gouvernement français s’engage à la reconstruire ; les nantis et les institutions du monde entier s’engagent à donner des fonds à cette fin. Etonnamment, le petit reste de fervents catholiques de France et nombre de leurs concitoyens non pratiquants se tournent pour prier et veiller sur la fragile structure toujours érigée vers Dieu dans le désir et l’émerveillement.
Résurrection et renaissance pourraient être la signification finale d’un événement si chargé de signes comme pour être à la hauteur du vénérable terme de louange appliqué aux églises gothiques : des Evangiles de pierre.
Ainsi que l’architecte classique Erik Bootsma met en garde, cependant, le président français Emmanuel Macron, dans sa hâte de réparer complètement dans un délai de cinq ans, n’a jusqu’ici pas consulté ceux qui connaissent le mieux la vieille cathédrale et qui pourraient assurer qu’elle soit rebâtie pour paraître telle qu’elle était avant l’incendie.
Pendant ce temps, des architectes se sont précipités avec des propositions qui, au mieux, donneraient « une combinaison respectueuse de l’ancien prédominant avec le meilleur de la nouveauté. » Parmi les propositions, il n’y a pas que le simplement moderne, il y a également des projets étrangement extra-terrestres pour une nouvelle flèche, pour remplacer la « forêt » de la charpente par du verre ou la remplacer par une plate-forme d’observation et un jardin.
Tout cela a – à juste titre – fait surgir des craintes que le gouvernement français se montre historiquement sans cœur en supervisant la reconstruction.
Le philosophe catholique français Jacques Maritain a un jour fait la remarque que les artisans médiévaux réparaient et rebâtissaient les églises sans souci du style de leur construction originelle. Il voyait ses contemporains comme englués dans un attachement sentimental aux styles anciens ; ils reproduisaient l’antique sous une forme kitsch plutôt que de s’ouvrir au génie et aux matériaux modernes.
Nous devons penser par analogie, insistait Maritain : si le style roman peut être marié avec le style gothique, le style gothique peut se voir greffer du moderne.
Nous n’appelons pas une chose « sentimentale » ou « kitsch » à moins de l’avoir déjà condamnée. Maritain avait probablement raison de sermonner ses contemporains pour qu’ils s’occupent des nouvelles possibilités esthétiques si l’alternative était de se tirer une flèche dans le pied tandis qu’une auguste tradition sombrait dans la décadence.
Mais son exemple désinvolte – l’artisan médiéval – n’est pas sans ironie et, finalement, ne s’adapte pas bien à notre époque actuelle. Car il faisait partie des rares esprits modernes à insister sur ce que la forme esthétique n’est pas simplement une histoire de mode historique, et en outre il comprenait très bien qu’au moins une partie des pratiques artistiques modernes trouvaient leur inspiration, non dans la beauté de Dieu mais dans un néant qui était au mieux matérialiste et au pire diabolique.
Permettez-moi alors un avertissement. Maritain a montré, en partant de Thomas d’Aquin, que la beauté s’enracine dans la forme. Tout être naturel existant est un composé de forme et de matière. La matière est purement passive et dérivée, mais la forme est le principe agissant qui fait exister les choses. Comme Maritain l’a écrit, la forme est :
le principe qui constitue la perfection propre de tout ce qui est, qui constitue et réalise les choses dans leur essence et leurs qualités, qui est, en définitive, si on peut l’exprimer ainsi, le secret ontologique qu’elles peuvent porter en elles, leur être spirituel, leur mystère de fonctionnement – la forme est vraiment par-dessus tout le principe propre de l’intelligibilité, la clarté propre de toute chose. De plus, toute forme est la trace d’un rayon de l’Intelligence créatrice imprimé au cœur de l’être créé.
La forme est diversement définie comme l’essence, la nature, le principe intelligible et agissant d’un être. Elle est par conséquent à la fois ce qui fait qu’un être est cette chose particulière mais également indication de la participation de cette chose, comme créature, à la divine intelligence créatrice et incréée de Dieu. Par leur forme, les choses sont, nous savons ce qu’elles sont, et nous discernons leurs relations avec les autres choses et, finalement, avec la main qui les a faites.
Les modernes ont tendance à séparer radicalement ces caractéristiques : certaines choses sont temporelles et fugaces, tandis que d’autres sont éternelles et permanentes ; certaines choses sont le produit de leur époque tandis que d’autres la transcendent.
Hélas, dans « Sacrosanctum Concilium » (1963) et ailleurs, le concile Vatican II a suggéré que le dépôt éternel de la vérité divine pourrait simplement être versé dans telle ou telle forme entièrement façonnée par les « signes des temps ». Aucun style particulier d’art ou d’architecture, aucune forme politique particulière n’est, pour ainsi dire, définitif aux yeux de l’Eglise.
Mais la forme, convenablement comprise, suggère quelque chose de plus complexe. L’œuvre spécifique de la culture est de discerner, au long du cours de l’histoire, les formes qui sont appropriées, c’est-à-dire les plus adéquates pour manifester la vérité qui les transcende. La beauté sensible n’est pas quelque chose de séparé de la vérité mais plutôt la forme découverte historiquement qui est adaptée pour manifester la splendeur présente au-delà de toute l’histoire.
Bien que l’architecture gothique n’ait pas l’exclusivité pour manifester la vision chrétienne du sacré (toutes les formes créées reflètent le divin), elle la manifeste plus pleinement et pertinemment que d’autres formes. De ce fait, elle ne peut pas être simplement mise de côté sans rendre notre architecture et notre culture moins claires et précises qu’auparavant.
Mais il y a plus. Beaucoup de l’architecture moderne, avec son mépris brutal pour le passé et son idée fixe pour l’avenir, ne manifeste rien tant que la négation que la forme porte autre chose que sa temporalité sans signification. Elle proclame être, non seulement la mode actuelle de l’époque, mais également un geste de négation du transcendant, ce qui fait que Philip Rieff l’a caractérisée comme une œuvre « d’anti-culture ».
Par conséquent, ce ne serait pas seulement une préoccupation de préservation historique ou d’attachement sentimental à l’ancien que d’insister pour que Notre-Dame soit restaurée exactement comme elle était. C’est plutôt que nous qui vivons sommes responsables d’assurer que le vocabulaire que l’homme a trouvé, à travers l’histoire, pour exprimer la gloire existant au-delà de ce monde, ne soit pas réduit au silence – pas encore.
James Matthew Wilson, un nouveau contributeur, a publié huit livres. Il est professeur adjoint de religion et de littérature à l’université de Villanova.
Illustration : Notre-Dame de Paris
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/25/rebuilding-notre-dame-form-is-not-fashion/
https://www.europe1.fr/emissions/on-fait-le-tour-de-la-question-avec-wendy-bouchard/wendy-bouchard-aujourdhui-notre-dame-de-paris-un-mois-et-demi-apres-lincendie-ou-en-est-le-projet-de-restauration-3901124
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/notre-dame-la-liste-des-1170-signataires-de-l-appel-au-president-20190428
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- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LES APOCALYPSES DU PASSÉ
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
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