Rwanda : souvenir, repentir, réconciliation - France Catholique
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Rwanda : souvenir, repentir, réconciliation

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Cette année marque le vingt-cinquième anniversaire du génocide rwandais, l’un des plus horribles événements du siècle le plus sanglant de l’histoire. Dans l’espace d’une centaine de jours à peu près, des Hutus de ce pays ont tué un million de Tutsis alors que le monde se tenait sur la réserve. Tristement, certains des meurtriers étaient catholiques. Pour que la réconciliation continue au Rwanda, il faut reconnaître ce fait dérangeant. Nous ne devons pas oublier, cependant, que la foi n’était pas la cause du génocide. Elle a plutôt été à l’origine de nombreux actes d’humanité dans l’enfer rwandais.

Il y a plusieurs leçons à tirer.

Premièrement, proportionnellement parlant, l’annihilation des Tutsis est l’égal des génocides les plus connus du vingtième siècle, la Shoah et le génocide arménien. Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne nazie a assassiné deux tiers des juifs européens et entre 1915 et 1923 les Jeunes Turcs nationalistes ont exterminé les trois quarts des Arméniens vivant dans l’empire Ottoman. Entre avril et juillet 1994, des Hutus ont tué soixante-dix pour cent des Tutsis Rwandais.

Bien que n’utilisant que des armes primitives telles que des massues et des machettes, les Hutus étaient bien plus efficaces que le Troisième Reich ou le régime des Trois Pachas : là où il a fallu à ces deux groupes plusieurs années pour éliminer la plus grande partie des juifs européens et des Arméniens ottomans, trois mois seulement ont suffi aux Hutus pour tuer une proportion similaire de Tutsis.

La leçon la plus dérangeante concernant la nature humaine donnée par l’enfer rwandais est que des méthodes sophistiquées de génocide, tels le Zyclon B ou les fusillades de masse en des lieux tel Babi Yar, ne sont pas nécessaires pour perpétrer des meurtres de masse ; des cœurs enflammés de haine suffisent.

Pour des catholiques, le génocide rwandais est particulièrement perturbant. Selon le recensement national de 2002, près de trois Rwandais sur cinq se considèrent catholiques. En plus, non seulement des laïcs ordinaires mais également des prêtres faisaient partie des Hutus ayant pris part au chaos.

Cela a trouvé son chemin dans les polémiques anti-catholiques. Dans « God Is Not Great : How Religion Poisons Everything » (Dieu n’est pas grand : comment la religion empoisonne tout), le maintenant défunt Christopher Hitchens a présenté le génocide rwandais comme rien d’autre qu’un des nombreux exemples des maux causés par la religion. Mais ce n’est pas l’entière vérité.

Comme dans d’autres cas de mauvais comportements de frères catholiques, nous devrions reconnaître les faits tragiques et ne pas les minimiser. En 2017, le pape François a demandé pardon pour le rôle de prêtres dans le génocide. Le président rwandais Paul Kagame, lui-même Tutsi catholique, a appelé cela un « nouveau chapitre » dans le processus de guérison.

Dans le catholicisme, la reconnaissance de son péché, la demande de pardon et la pénitence, non seulement ramènent l’individu pécheur à Dieu, mais peuvent également avoir des conséquences publiques. En 1965, par exemple, les évêques catholiques de Pologne ont envoyé une lettre à leurs homologues allemands pour pardonner à la nation allemande la brutale occupation nazie de leur pays et pour demander pardon eux-mêmes. A peine deux décennies après que les Allemands aient tué presque six millions de citoyens polonais, de nombreux Polonais trouvaient l’idée que leurs évêques devraient demander pardon pour quoi que ce soit aux Allemands absurde et même indécente.

Cependant les évêques ont argumenté que même si un seul Polonais avait blessé un Allemand, cela justifiait la demande de pardon. La lettre des évêques a ouvert la voie à la réconciliation germano-polonaise ; peu après, le chancelier d’Allemagne de l’Ouest Willy Brandt a officiellement reconnu la frontière germano-polonaise.

Parmi les promoteurs de la lettre, il y avait l’archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla qui, comme pape Jean-Paul II, savait la valeur de la repentance publique – non un avilissement mais l’expression authentique du regret – pour les maux passés.

L’honnêteté historique, cependant, requiert que nous nous rappelions également d’autres choses. Par exemple, le génocide rwandais n’a pas été motivé principalement par des passions religieuses ; ce n’était pas comme les massacres de la Guerre de Trente Ans. Il était plutôt motivé par l’ignoble tribalisme couvant dans notre nature humaine déchue et qui se réveille souvent dans les temps de conflit.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, le régime des Oustachis en Croatie a assassiné 400 000 personnes, la plupart serbes mais également juives et tziganes. Les Oustachis ont souvent fait appel au catholicisme populaire pour inciter à la haine des orthodoxes serbes ; cependant, leur tactique génocidaire venait clairement en contradiction avec le message universel des Evangiles. Comme les Oustachis, les Hutus ont parfois fait appel aux sentiments religieux par commodité politique, mais les prêtres complices de meurtres ont agi contrairement à la foi catholique.

Comme le Rwanda s’enfonçait dans la guerre civile, de nombreux Tutsis catholiques sont morts également ; les Hutus se désintéressaient d’une dénomination religieuse, ils n’avaient à cœur qu’une animosité ethnique. Et alors que certains prêtres ont été complices du génocide, d’autres ont vraiment vécu l’Evangile au Rwanda, tel le prêtre Hutu Célestin Hakizimana, maintenant évêque, qui a caché environ 2 000 Tutsis à Kigali et a soudoyé des officiels hutus pour qu’ils ne tuent pas ceux qu’il protégeaient.

Le génocide Rwandais a été également condamné officiellement par l’Eglise Catholique au plus haut niveau. Le pape Jean-Paul II, qui manifestait un grand intérêt à l’Afrique, a été le premier chef d’état du monde à qualifier les meurtres de génocide et les a condamnés à plusieurs reprises, commençant dès le deuxième jour après leur début. Cela marque un fort contraste avec les Nations-Unies et les états occidentaux, qui avaient les moyens militaires de sauver des centaines de milliers de victimes et qui pourtant n’ont rien fait.

« Le diable peut citer les Ecritures pour servir ses projets » a écrit Shakespeare dans une phrase restée célèbre. Certains des Hutus meurtriers de masse ne citaient pas tant les Ecritures qu’ils n’appelaient à un tribalisme malveillant dissimulé derrière un catholicisme culturel. Cependant, le fait que des gens d’Eglise aient été parmi ceux qui ont perpétré le génocide demeure un grave scandale ; Le témoignage des récents papes et de l’évêque Célestin Hakizimana montre cependant que, même après des offenses historiques, la substance inaltérée de la foi peut jouer un rôle clef dans la guérison de sociétés en difficulté et dans la restauration de la solidarité humaine.

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Filip Mazurczak est rédacteur en chef adjoint de European Conservative. Ses écrits paraissent également dans plusieurs autres publications.

Illustration : le mémorial du génocide à Kigali, Rwanda
2 ) l’évêque Célestin Hakizimana

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/22/rwanda-remembrance-repentance-reconciliation/