Voici une question : quelle quantité de culture séculière pouvez-vous supporter et apprécier sans devenir séculariste malgré vous ? Je veux dire par là fonctionnellement non catholique.
Je reconnais ne pas le savoir. L’histoire récente montre clairement le flux inexorable du pire de la culture séculière, qui, telle la lave du Kïlauea, calcine la vie traditionnelle judéo-chrétienne. Vous savez ce que je veux dire ; inutile de réciter une litanie des offenses profanes.
De toute façon, ma préoccupation est de savoir quelle quantité de culture et d’art contemporains un catholique fervent peut regarder, écouter et même apprécier sans succomber aux prémices intégrés de l’incroyance.
Naturellement, nous devons toujours nous souvenir de la foi et de son pouvoir transformant. Jésus a dit : « je ne suis pas venu pour appeler les justes, mais pour appeler les pécheurs à la repentance » (Luc 5:32). Et nous sommes tous pécheurs. Souvenez-vous aussi que le Christ a mangé et bu « avec ces gens-là ». Les gens au banquet de Lévi (Luc 5:29-39) sont fort semblables à ceux qui aujourd’hui produisent à tour de bras l’essentiel de ce qui passe pour être de la culture populaire : Hollywood, Madison Avenue et autres lieux de New York – et même du reste des Etats-Unis.
La boue est envahissante. Vous vous régalez du super Bowl ou de World Series et vous attraperez en prime quelques portions de faiblesse et d’immoralité qui, si vous n’êtes pas préparé, peuvent ruiner le jeu, et petit à petit votre vie même.
Il y a une expression prodigieusement utile : la surveillance des yeux. Une des déclarations les plus surprenantes de Notre Seigneur (Matthieu 5:29) est que « Si ton œil droit te porte à pécher, arrache-le. Car il est préférable pour toi de perdre un de tes membres plutôt que ton corps tout entier soit jeté en Enfer ». Naturellement, Jésus ne suggérait pas une auto-mutilation, et « œil » est comparable à « vision ». Ce qui doit être extirpé, ce sont les pensées pécheresses qui déforment la perception d’un monde déjà déformé en soi.
La surveillance des yeux implique certainement de bloquer ce que vous ne devriez pas voir – mais signifie également être d’un esprit attentif au sujet de ce que vous voyez effectivement, mettre les choses en perspective.
Prenons le cas de la nudité. Certaines personnes sont choquées par les fresques de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine parce que des personnages clefs de la Bible sont présentés « intégralement nus », Adam et Eve en particulier. Il y avait plein d’amertume à ce sujet tandis qu’il travaillait (durant quatre ans) sur son chef d’œuvre, mais la réponse de Michel-Ange à ses critiques était simple : nos premiers parents étaient nus. Le pape Jules II, qui avait commandé l’œuvre, a laissé l’artiste peindre comme il voulait. Un successeur, Adrien VI, voulait que le plafond soit décapé et le dernier des huit papes pour lesquels Michel-Ange a travaillé, Paul IV, lui a ordonné de masquer les parties génitales. Michel-Ange a refusé.
Mais nous savons par la Genèse que le corps humain nu est bon, c’est pour cela que Saint Jean-Paul II a appelé le plafond de la chapelle Sixtine « le sanctuaire de la théologie du corps humain ». Comme le dit le Psalmiste (139:14), nous sommes « merveilleusement faits ».
L’art occidental inspiré par la Bible a longtemps et souvent représenté des personnages dévêtus. Parce que, franchement, vous ne pouvez pas peindre Adam et Eve avant la Chute comme l’a fait Michel-Ange (1508-12) ou Suzanne épiée par les anciens comme l’a fait Guido Reni (1620-25) ou David regardant Bethsabée comme l’a fait Jean-Léon Gérôme (1889) sans nudité.
Je suis fou de l’œuvre de l’artiste américain Edward Knippers, un anglican membre de « Christians in the Visual Arts » (Chrétiens dans les Arts Visuels), dont « La femme prise en flagrant délit d’adultère » (2004), montre la femme entièrement nue, ce qui semble approprié parce que cela communique une intensité dramatique : elle vient tout juste d’être traînée hors de sa liaison adultère et est sur le point d’être lapidée. Nous savons comment les choses ont tourné, mais le pathos bouleversant de la peinture surgit de la vulnérabilité de la femme nue avant qu’elle ne soit sauvée.
Il est facile, je pense, de modérer le jugement moral en peinture et sculpture, dans lesquelles – aussi dramatique que l’art puisse être – l’image est statique : j’aime appeler cela museum media. C’est plus difficile avec des images animées.
Prenons le cas d’un des meilleurs films de cette année, sacré meilleur film, « Bohemian Rhapsody », qui raconte l’histoire de Queen, le groupe de rock britannique, depuis leurs débuts en 1970 jusqu’à leur représentation de 1985 à Live Aid, un concert au bénéfice des victimes de la famine en Afrique. La charité mise à part, il n’y a rien de chrétien dans le film, dont la plus grande partie traite du talent et des tribulations du principal chanteur Freddie Mercury (né Farrokh Bulsara), joué par Ramey Malek d’une façon remarquable nominée aux Oscars.
La musique de Queen n’a jamais été conçue pour attirer un public chrétien (un des premiers chants, Jésus », aurait peut-être pu, rien n’est moins sûr). Et loin d’être guidé par l’Esprit-Saint, le groupe suivait clairement l’esprit du temps. Mais peu de gens n’ont pas entendu et apprécié Queen : dans la plupart des sports, amateurs ou professionnels, vous ne pouvez pas passer une saison sans entendre l’un ou l’autre des deux hymnes de Queen, « We Will Rock You » ou « We Are the Champions » – ou les deux.
Le titre du film est inspiré d’un mouvement de près de six minutes de l’album titré avec pertinence « A Night at the Opera » (Une nuit à l’opéra) de 1975. « Bohemian Rhapsody » est un mélange de rock, de classique (d’opéra, évidemment) et de paroles liées ou non avec l’histoire d’un homme condamné. Dans le film, Mike Meyers, qui a aidé à donner une nouvelle vie à la chanson dans « Wayne’s World » (1992) de Penelope Spheeris, joue – avec un clin d’œil – un producteur de disques qui prédit que la chanson n’aura jamais aucun succès : il est trop long et compliqué de la faire passer à la radio. Le directeur Bryan Singer vous introduit de façon vivante dans ce concert Live Aid à Wembley Stadium, un an avant que la carrière de Mercury ne s’interrompe en raison du sida. Le pouvoir que peuvent avoir les artistes est effrayant. (Une action en justice contre Monsieur Singer pour abus sur garçons mineurs a été intentée puis abandonnée. Ah, Hollywood…)
Oh oui, il y a du péché à profusion dans « Bohemian Rhapsody » (bien que le film ne soit interdit qu’aux moins de 13 ans) mais je le trouve touchant en raison de l’attention portée aux tentations causées par la célébrité et la fortune et tout spécialement en raison la manière de filmer le processus créatif du groupe.
Homo sum, humani nihil a me alienum puto, écrivait le dramaturge romain Térence. « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Regarder « Bohemian Rhapsody » m’a ému mais ne m’a pas corrompu.
Brad Miner est rédacteur en chef de « The Catholic Thing », membre de l’Institut Foi & Raison et secrétaire du bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse USA. Il est un ancien rédacteur littéraire de « National Review ».
Illustration : « L’expulsion du Jardin d’Eden » par Masaccio, vers 1425 [chapelle Brancacci, église Saint Marie du Carmel, Florence] Au 18e siècle, Cosme III de Médicis, Grand Duc de Toscane, a ordonné que soient peintes des feuilles de vigne afin de respecter les dernières règles de protocole. Les feuilles ont été effacées lors de la restauration de 1980.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/02/18/the-problem-of-worldly-art/
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