Tous les premiers lundi du mois, Jacques Julliard publie une page substantielle d’un carnet aux lecteurs du Figaro. À chaque fois, il s’agit d’une réflexion de fond sur l’actualité qui dépasse de très loin les commentaires habituels. Car Julliard met toute sa culture au service de l’analyse de l’événement et l’on y gagne à chaque fois en pertinence et en profondeur. Hier, il consacrait sa page à la signification de l’incendie de Notre-Dame. Impossible, en quelques mots, de résumer ces quatre colonnes du fait de leur densité et de la richesse de leur argumentation. Personnellement, j’y adhère presque entièrement, compte-tenu de quelques réserves de second plan. J’en retiens la proposition centrale. La symbolique de l’incendie de Notre-Dame se rapporte à la crise conjuguée de l’Église catholique et de la République.
Inutile d’insister sur le premier point. Il est dans toutes les têtes. Mais en ce qui concerne la République au sens le plus fort du terme, la res publica, la crise est aussi singulièrement grave, et elle est solidaire de la déchristianisation du pays. Déchristianisation logique avec l’évolution historique inéluctable ? Marcel Gauchet n’a-t-il pas établi que le christianisme est la religion de la sortie de la religion ? « Fort bien, rétorque Julliard. Mais personne ne se hasarde à répondre à la question : “Que se passe-t-il ensuite ?” »
Est-ce vraiment l’affirmation de l’autonomie radicale des individus qui est le vecteur premier de la modernité ? On peut en douter. Car sans référence commune, la société et l’État sont en voie de désagrégation : « Que reste-t-il de cet État national quand les citoyens ne partagent plus entre eux que cet individualisme qui en est la négation ? » Et que signifie la nation sans son histoire tellement incarnée dans notre cathédrale nationale ? Pourtant, Jacques Julliard ne conclue pas cette analyse impitoyable sur un ton désenchanté. Il pense qu’il peut y avoir intériorisation de la foi, alors qu’il y a rétrécissement de l’Église. Une Église qui peut être signe de communion alors que l’on se perd en division de l’archipel français. Il croit aussi en la possibilité d’un ressaisissement civique grâce à un renouveau de ce qu’on appelait autrefois l’instruction publique. La conclusion ? « Il faut faire de la reconstruction de Notre-Dame un grand acte d’unité nationale, chrétienne et républicaine, fondée sur des valeurs universelles qui se confondent avec l’âme de la France. »