On dit fréquemment de l’Eglise Catholique aux Etats-Unis qu’elle passe par la crise la plus sérieuse qu’elle ait jamais souffert. L’histoire le dira. Mais quelque chose qui fait incontestablement du moment présent une difficulté sans commune mesure dans le catholicisme américain est sa complexité : il n’y a pas une crise mais deux.
La plus évidente concerne les abus sexuels d’enfants commis par certains prêtres et leur dissimulation par plusieurs évêques et supérieurs religieux. Depuis deux décennies, à peu près tout le monde a été conscient de cette crise bien que ce soit seulement tardivement que des détails accablants sont venus en lumière, montrant à quel point les autorités de l’Eglise avaient mal géré la situation.
Au-delà de cette crise, cependant, une crise plus profonde et peut-être plus grave encore a grandi depuis des années.. C’est cette crise que le scandale des abus sexuels a dernièrement fait surgir violemment à la surface de la vie catholique américaine.
Cette seconde crise a été décrite de diverses façons, comme une défaillance de communication, une défaillance de prise de responsabilité et une défaillance du partage des responsabilités. Mais ces défaillances de toutes sortes et d’autres convergent en une défaillance qui les englobe et qui n’est rien de moins qu’une crise massive de manque de communion ecclésiale. Tant que cette crise ne sera pas traitée et corrigée, elle continuera de fausser et de perturber les relations à tous les niveaux dans l’Eglise et dans d’innombrables cadres.
La solution ne sera pas facile à trouver. En fait, il se peut que ce soit encore plus difficile à identifier et mettre en place que ne l’a été le protocole pour résoudre la crise des abus sexuels. Mais un bon début serait la convocation d’un concile plénier ou d’un synode régional des évêques pour l’Eglise aux Etats-Unis.
Avant d’expliquer cela, cependant, j’ai besoin de dire ce que j’entends par crise de manque de communion ecclésiale.
Rappelons la description lumineuse dépeinte par le concile Vatican II :
Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. Car la différence même que le Seigneur a mise entre les ministres sacrés et le reste du Peuple de Dieu comporte en soi union, étant donné que les pasteurs et les autres fidèles se trouvent liés les uns aux autres par une communauté de rapports, les pasteurs de l’Eglise qui suivent l’exemple du Seigneur étant au service les uns des autres et au service des autres fidèles, lesquels apportent de leur côté aux pasteurs et aux docteurs le concours joyeux de leur aide. Ainsi, dans la diversité même, tous rendent témoignage de l’admirable dignité qui règne dans le Corps du Christ. (Lumen Gentium 32)
Ceci est un descriptif émouvant d’un corps ecclésial dont les membres sont unis par un respect mutuel et sont à l’aise pour interagir les uns avec les autres. Malheureusement, il ne comporte guère de ressemblance avec la réalité fragmentée et conflictuelle du catholicisme américain de 2019, y compris le sondage Gallup révélant qu’en mars dernier 37% des catholiques américains ont envisagé de quitter l’Eglise (le chiffre était de 22% en 2002, antérieurement au pic du scandale des abus sexuels).
Envisager de quitter l’Eglise n’est évidemment pas la même chose que la quitter effectivement, mais 37% reflète un niveau de réprobation d’une hauteur inquiétante.
Quand les évêques des Etats-Unis se rassembleront de nouveau à Baltimore du 11 au 13 juin, on attend d’eux qu’ils adoptent un nouveau plan de responsabilité épiscopale pour les abus sexuels. Il inclura une ligne d’appel pour recevoir les plaintes concernant un évêque spécifique, une procédure pour écouter les doléances et un code de conduite pour la hiérarchie.
Et ensuite ? Ensuite les évêques devraient s’engager à une étude de faisabilité d’un concile plénier ou d’un synode régional pour élaborer des remèdes au manque de communion ecclésiale.
L’idée n’est pas nouvelle. En 2002, suite à l’assemblée de Dallas durant laquelle les évêques ont adopté la politique actuelle de « tolérance zéro » concernant les abus, certains évêques (au nombre final de plus de cent) se sont levés avec une proposition de concile plénier ou de synode régional pour chercher de plus larges solutions à ce qui n’allait pas dans le catholicisme américain.
Les huit signataires originels d’une lettre qui a circulé parmi les évêques pour faire appel au soutien comptaient Mgr Daniel L. DiNardo de Sioux City dans l’Iowa (maintenant cardinal, archevêque de Galveston-Houston et président de la conférence des évêques aux USA) ; Mgr Allen H. Vigneron, évêque auxiliaire de Détroit, de qui venait l’idée (il est maintenant archevêque de Détroit) et Mgr Raymond L. Burke de La Crosse, dans le Winsconsin (maintenant également cardinal et ancien préfet de la Signature Apostolique, la plus haute juridiction de l’Eglise).
A l’origine, l’idée était celle d’un concile plénier. L’Eglise des Etats-Unis en a eu trois jusqu’à présent, mais aucun depuis le dix-neuvième siècle. Le mérite spécial de cette approche est que, si seuls les évêques auraient droit de vote, les participants d’un concile plénier incluraient prêtres, diacres, religieux et laïcs.
Comme la discussion s’engageait, cependant, la conscience a grandi qu’un concile plénier pourrait être irréalisable en raison de la taille – jusqu’à mille participants. Cela a conduit à l’idée qu’un synode pourrait servir à peu près le même but. Seuls les évêques participeraient à un synode, mais cela pourrait ne pas être si mauvais si le synode était précédé par une investigation, un processus honnête de consultation du Peuple de Dieu.
Durant les années qui ont suivi, l’idée a généré d’intenses discussions au sein de la conférence des évêques, mais a finalement faibli – par manque d’intérêt, a-t-on dit. C’était probablement parce que la police de Dallas était opérationnelle et que la crise des abus sexuels semblait se calmer. Maintenant nous en savons plus.
Dans leur lettre de 2002, les huit évêques disaient que leur proposition « impliquerait dans l’expérience toutes les strates du Peuple de Dieu », procurerait « les modalités les plus claires et les plus complètes pour que les évêques agissent collégialement » et aurait « un impact maximal en façonnant la culture ecclésiale… en une culture de réforme ».
Dix-sept ans plus tard, les catholiques américains ont plus que jamais besoin d’une culture de réforme. Il faut que la rencontre des évêques de juin débloque les choses.
Russell Shaw est l’ancien secrétaire aux affaires publiques de la Conférence Nationale des Evêques Catholiques aux USA.
Illustration : « Le miracle de la multiplication des pains et des poissons » par Lambert Lombart, vers 1550 [maison Rockox, Anvers, Belgique]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/01/the-crisis-of-ecclesial-communion/
Pour aller plus loin :
- Discours final du Pape – Sommet sur la protection des mineurs
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux