Ce soir je ne pleure pas ma cathédrale éventrée, je ne pleure pas les vitraux pulvérisés, je ne pleure pas les œuvres d’art calcinées je ne pleure pas les pierres effondrées, la charpente millénaire réduite en cendres et la flèche ensevelie dans le brasier.
Ce soir je pleure la foi des bâtisseurs, apprentis, compagnons et architectes qui ont dépassé leur savoir pour offrir à Dieu et Marie sa mère un si bel écrin, je pleure pour les artistes qui au cours des siècles ont fait hommage de leur talent à Marie cette jeune fille juive de Palestine, qui en son sein va accueillir le Sauveur et qui sera reconnue Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, je pleure pour tous ces prêtres qui depuis des siècles ont célébré la sainte Eucharistie au Maitre autel et aux autels collatéraux, ont confessé dans ces chapelles qui en quelques heures ont disparu dans les flammes, je pleure toutes les grâces, empruntes spirituelles laissées par le temps, obtenues par ces sacrements qui étaient retenues par cette charpente au-dessus des fidèles, je pleure la foi des millions de fidèles qui au cours des siècles se sont agenouillés sur les prie-Dieu désormais carbonisés pour confier leurs misères, leur désarroi, leurs espérances, leurs craintes, leurs doutes et leur joie, à un Dieu si aimant de sa création qu’il a donné à l’homme la liberté de l’aimer ou de le rejeter, je pleure ce lieu où la France celle qui croyait au Ciel et celle qui n’y croyait pas savait se réunir sous le tendre regard de Notre Dame pour montrer son unité aux grandes heures de son histoire, je pleure la conversion de ces hommes et de ces femmes anonymes ou célèbres qui furent touchés par la grâce de la foi au détour d’un pilier, au chevet d’une statue, au pied du tabernacle, je pleure pour l’Église si traumatisée en ce début de XXIe siècle et qui en cette Semaine Sainte vient de perdre un de ses symboles les plus fédérateurs, je pleure de ne pas m’y être assez rendu pour me prosterner devant Notre Dame afin de lui demander d’intercéder pour moi auprès de son Fils pour mes fautes et pour mes lâchetés, de ne pas l’avoir assez remerciée pour ses grâces et ses bienfaits que j’ai dépensés comme un fils prodigue, je pleure de ne pas lui avoir demandé de pardonner à la France sa fille aînée ses abandons et ses oublis… je sais que je n’ai pas besoin de Notre-Dame pour prier, pourtant il y a des prières et des suppliques au Ciel qui ont besoin pour gagner le Ciel de l’épaisseur des siècles et de la compréhension du temps du parfum d’éternité qui se dégageait de ces voutes. Je pleure pour ces générations de prêtres qui face contre terre ont reçu le sacrement de l’ordre et ont perdu le lieu qui un jour par le mystère d’un sacrement leur a permis de devenir in personae Christi. Je pleure pour tous ceux grands et petits qui ne pourront plus y pénétrer et n’auront pas l’âme saisie par l’esprit des lieux comme tant l’ont été dans les siècles passés.
Je pleure pour la miséricorde sans fin de Marie et de son fils pour une humanité pécheresse et prie ce soir pour qu’elle continue à nous guider avec amour vers son fils.
Je ne pleure pas des pierres et des charpentes, je pleure l’écrin de ma foi, de mon identité et de ma culture qui est parti en fumée, je pleure pour tous ceux qui ne pleurent que pour des pierres et ne pleurent pas pour la foi qui a élevé ces pierres cette foi qui depuis bien longtemps a été consumée par un siècle sans foi.
Mais Seigneur grâce à vous, à l’amour de votre Mère, je sais que demain à mon réveil devant les ruines fumantes, je ne pleurerai plus car votre Espérance aura chassé ma peine et aura mis au fond de mon cœur une cathédrale à bâtir.