Telle Amélie Nothomb, Anne Kurian est-elle partie pour publier un roman par an ? Et même plus puisque, après son second roman qui paraît ces jours-ci, un autre est annoncé pour les semaines à venir. L’éditeur a senti le filon car le succès a été au rendez-vous du premier, l’année dernière, avec aussi un nombre de recensions assez phénoménal. Vite lisons donc le second. Il reprend manifestement la recette du Secret d’Emma M., le premier opus. Couverture très colorée avec un pochoir évocateur, titre mystérieux qui, ici, fleure bon la romance. Sans que ce soit une suite, on est dans un décor que l’on pense reconnaître, celui d’une grande ville anglo-saxonne avec ses tours, ses vastes espaces verts, avec des personnages kurianiens qu’on a l’impression également d’avoir déjà rencontrés : essentiellement des jeunes gens au début de leur vie professionnelle et sentimentale. Il suffit à Anne Kurian de faire prendre à un groupe de musiciens en plein succès un avion qui n’arrivera jamais pour rebattre les cartes et poser son nouveau suspense sentimental…
L’héroïne principale, la jeune Édith, a perdu sa mère et sa sœur dans la catastrophe. Difficile de faire plus tragique. Mais il faut bien vivre et se reconstruire. Plusieurs personnages flottent dans un brouillard de douleur et de culpabilité. L’amour des lettres les sauvent. C’est ce qu’un critique peu perspicace avait reproché au premier roman, trouvant « peu crédible » qu’à peu près chacun soit capable de citer Chesterton dans le texte. Soit l’auteur n’a pas compris la leçon, soit elle n’en a cure. Même si elle fait un peu plus de place à son histoire qu’à ses références, ici les héros connaissent C. S. Lewis par cœur. Le premier livre donnait une page de « résonnances littéraires » à la fin pour ceux qui auraient pu douter qu’ils avaient affaire à un véritable écrivain nourri de lettres…
Quant à l’histoire on serait bien bête de vous en raconter plus puisqu’elle se déroule avec ses surprises qui sont au cœur du plaisir de la lire. Nos soupçons ou nos espoirs ne seront pas tous satisfaits parce que, justement, la romancière souhaite tout de même rester dans le vraisemblable et même le vrai. C’est ainsi que plusieurs scènes sont situées dans une maison de retraite accueillant des personnes dépendantes, et là on sent particulièrement que l’auteur a vécu ce qu’elle décrit. Mais elle en a tiré une leçon d’optimisme qui est de bonne pédagogie chrétienne, même si le christianisme n’est quasiment en rien évoqué.
Amateurs de psychologie féminine (et un peu masculine quand même si cela existe) et d’histoires de chats, vous vous régalerez. Et, au cas où vous aimeriez les minions, ces personnages grotesques inventés pour le dessin animé Moi, moche et méchant… vous serez comblés, car ils constituent la référence esthétique absolue d’un des personnages secondaires les plus attachants : une caissière de supermarché qui observe et comprend tout de ses clients, pas comme madame Heredia qui, depuis sa loge du rez-de-chaussée espionne tout mais ne comprend pas grand-chose, ou l’étrange voisine du quatrième qui vit complètement recluse, ou Teresa, l’étudiante écervelée…
Donc on a droit à quelques théories sur l’amour, sur l’homme idéal tel qu’il devrait être (voir le titre) et les hommes tels qu’on les rencontre dans la vraie vie… Cela vous servira-t-il à dominer vos propres rêves ou fantasmes, Mesdames ? Pas sûr, mais au moins vous aurez été émues et vous aurez souri plus souvent qu’à votre tour.
Et le prochain roman ? Il paraît qu’il se passe dans une paroisse et qu’il n’y a aucune romance. Voilà qui est étonnant. Mais là aussi, l’auteur sera dans le vrai et ça risque d’être drôle et peut-être cruel. Mais nous n’en savons rien… Anne Kurian étant un maître du suspense.
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Anne Kurian, « Beau, brun, ténébreux », Quasar, 250 pages, 18 euros.