C’est une pièce autobiographique. Mesa, c’est Claudel, qui après s’être fait refuser au monastère, tombe amoureux d’une femme déjà mariée et mère de famille. Ysé, c’est Rosalie Vetch, qui aura un enfant de Claudel, comme dans la pièce. De Ciz, c’est le mari affairiste de Rosalie. Almaric, c’est l’amant auquel Rosalie s’attache sur le bateau qui la remmène en Europe.
C’est en 2011 que La Pléiade « officialise » le lien entre Rosalie et Ysé (dans Le Partage de midi) ou Prouhèze (dans Le Soulier de satin), précisant que « le Quai d’Orsay s’émeut de la situation scandaleuse créée par l’association de Claudel et de Francis Vetch dans des projets économiques, par l’adultère de Claudel et de Rosalie Vetch, et par l’installation de cette dernière dans la maison consulaire ». Elle doit partir en août 1904. Claudel commence à lui écrire, ses lettres lui reviennent, leur fille Louise naît le 22 janvier 1905. Il entame la rédaction du Partage de midi et confie à Francis Jammes : « Vous savez que je fais un drame qui n’est autre que l’histoire un peu arrangée de mon aventure. Il faut que je l’écrive. » C’est la « première version », confidentielle, celle de l’amoureux blessé qu’il remanie jusqu’à arriver à une seconde mouture où « Rose » est plus présentable.
Claudel est un homme complexe qui commence un travail d’auto-évangélisation permanente à Noël 1886, en même temps qu’il est ébloui par les Illuminations de Rimbaud. C’est aussi lui qui reste soumis à une mère autoritaire qui ne supporte pas le comportement de sa fille Camille (lequel est à peu de chose près symétrique de celui de son frère, mais le garçon a un métier qui le rend respectable).
Deux clefs permettent de saisir les personnages de la pièce. Pour Claudel, Almaric est l’homme horizontal, terrestre, jouisseur, sans idéal, qui vit dans la béatitude de son inconscience. Mesa est l’homme vertical, pieds sur terre, tête dans les cieux, tiraillé entre ces deux extrêmes, d’où la quasi-nécessité du péché. Ysé, est la femme qui a besoin d’un homme solide, mais qui accepte un partenaire qui puise sa stabilité dans sa force personnelle plutôt que dans la grâce et la précarité qui va avec.
La seconde clé est donnée par Claudel dans la préface de sa pièce, quand il cite Osée 11, 4 1 : Mesa est celui qui, après avoir été éconduit par Dieu, est reconduit vers lui à travers cette passion dont il reste plus de braises divines que de cendres humaines.
La pièce est une ascension du monde matériel vers le monde spirituel. C’est la première version, expressionniste, qui est jouée au Théâtre de la Ville. Le décor frappe d’emblée : c’est le pendant visuel du lyrisme de l’auteur. Les comédiens mettent en valeur le phrasé de l’œuvre et, après un moment d’adaptation, on entre avec eux dans la cathédrale littéraire édifiée par Claudel. La tentative d’Ysé pour retenir son mari est très bien jouée. Le spectacle est très visuel, chorégraphique par moments. Tout y est allusion. L’éclairage est simple et sculptural. On est tellement pris par la pièce qu’on en sort hébété.
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Le Partage de midi (première version), de Paul Claudel. Scénographie et mise en scène par Éric Vigner. Avec Stanislas Nordey, Alexandre Ruby, Mathurin Voltz, Jutta Johanna Weiss. Jusqu’au 16 février au Théâtre de la Ville – Théâtre des Abbesses, 31, rue des Abbesses, 75018 Paris, tél. : 01.42.74.22.77.
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Photo : © Jean-Louis Fernandez
- « Je les tirais avec des liens d’humanité, avec des cordages d’amour, je fus pour eux comme celui qui aurait relâché le joug près de leur bouche, et je leur présentais de la nourriture ».
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