Ce que les contes nous disent - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Ce que les contes nous disent

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a récemment remis à l'honneur les Fables de La Fontaine. On ignore qu’il est une autre œuvre plus proche de nous, plus facile et d’inépuisable richesse : Le Trésor des Contes, d’Henri Pourrat. à lire et à relire, pour les petits et les grands… En voici quelques clefs.
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Il y a un trésor dans notre littérature. Il est peu connu. Et pourtant, très simplement, il s’annonce comme tel : Le Trésor des Contes d’Henri Pourrat. L’édition originale compte 13 tomes chez Gallimard, parus de 1948 à 1962 : trésor de 945 contes. Parce que ce sont des contes, on les croit destinés aux seuls enfants. Fâcheuse méprise : c’est une merveille pour les enfants, mais aussi pour les grands – comme les Fables.

Pour les enfants : c’est une œuvre qui leur apprend à lire et à écrire, qui les enchante et leur fait du bien. Peut-on en citer beaucoup d’autres dans la littérature du XXe siècle ? Pour les grands : le genre du conte a quelque chose de mystérieux. Il est lié à la parole, comme le mythe et la fable. D’elle il tient son origine et sa transmission ; par elle il remonte à la nuit des temps et recèle des secrets originels qui peuvent être des vérités.

On pense d’abord aux contes dits « de fées » ou contes merveilleux : des êtres, doués de pouvoirs magiques, transcendent la commune humanité et s’affranchissent des contraintes du réel. Ce genre de contes est rare. Onze seulement chez Perrault, contes du siècle classique, sages et policés. Il y en a beaucoup plus dans Le Trésor : peut-être un quart de l’ensemble. Les autres contes ne sont pas « merveilleux », ils touchent terre : contes de villages et de campagne, farces, bons mots, défis, paris, filouteries de foires, contes drôles dans la lignée des fabliaux. Mais aussi crimes des bois et des grands chemins, auberges sanglantes, contes de la peur et de la vengeance. Et rien n’est plus heureux que ce mélange de réel et de merveille, l’un et l’autre se faisant valoir tout à tour.

Ainsi faut-il en user avec Le Trésor des Contes. Il faut en multiplier les lectures. Une lecture, c’est un essai d’interprétation, comme pour un tableau : selon le point de vue, l’œuvre prend un sens nouveau, révèle des richesses cachées.

Le cahier annuel de la Société des amis d’Henri Pourrat (SAHP) vient ainsi de paraître, et il a pour titre Retour aux contes. Sous la responsabilité de Bernard Plessy, qui, dit-il, a appris à lire dans Les contes de la bûcheronne, c’est une excellente introduction à ce Trésor. Un texte éblouissant de Victor-Henry Debidour y montre les pouvoirs de l’homme qui sait conter – comme Homère à l’origine. Annette Lauras, la fille d’Henri Pourrat, raconte aussi la genèse du Trésor, telle qu’elle en fut témoin avec son frère Claude. À la suite de quoi, Bernard Plessy propose une « lecture » chrétienne des Contes, inspirée par H. Pourrat lui-même. Dans la Note initiale du premier volume, il semble se contredire. Ces contes, dit-il, ne sont pas tout chrétiens (première rédaction : pas tellement chrétiens). Trois lignes plus loin : « si chrétiens pourtant ». Sous une plume aussi maîtrisée que la sienne, que peut bien cacher cette volte-face ?

Les deux premiers chapitres de ce cahier explorent le cadre des contes. D’abord leur relation à l’espace par l’étude des comparaisons – un grand nombre est emprunté à la religion. Puis au temps, par l’étude du calendrier de l’année paysanne – toutes les références sont liturgiques, grandes fêtes et fêtes des saints. C’est une évidence : les contes tournent autour du clocher de la paroisse. Sont-ils chrétiens pour autant ? Non, certes. À l’image de la condition humaine, ils ne sont pas épargnés par le mal. Le troisième chapitre en montre les racines. Racine païenne d’abord : le Destin prive l’homme de toute liberté – c’est une source du tragique grec. La baguette de la fée, fille du Destin, en est l’image : elle jette le sort. Racine chrétienne : le Diable, moins spectaculaire, plus insidieux. C’est un ennemi de l’intérieur, il a investi le cœur de l’homme. Si les contes montrent les racines du mal, ils sont inépuisables sur ses effets. Le quatrième chapitre en décline toutes les manifestations, en remontant aux origines : un charbonnier et sa charbonnière, mis à l’épreuve par le roi, désobéissent comme Adam et Ève, un frère jaloux s’en prend à son frère comme Caïn. Les sept péchés capitaux (ou mortels) étaient le meilleur moyen d’en faire le triste inventaire : ils y sont tous.

« Car ce monde est un monde de sang », écrit Pourrat dans la belle his­toire de « La Dame à la biche ». Mais dans « Le petit berger de moutons », une autre voix répond, et c’est encore la sienne : « Nous ne sommes pas de ce monde. » Alors s’ouvre le chapitre de « La Bonne Nouvelle ». Dieu a voulu retrouver ses enfants perdus, et il leur a donné le moyen de revenir à Lui. Le Trésor n’est pas un catéchisme, mais cette nouvelle y est bien présente. Le jour où l’on a sonné l’angélus, les fées ont disparu, et maintenant c’est l’ange qui vole par les chemins. Le Destin a perdu son pouvoir ? Mais le Diable a conservé le sien. Alors les contes rappellent, en les mettant en œuvre, que les sacrements (sept comme les péchés capitaux) sont là pour nous délivrer du Mauvais. Voyez l’admirable conte des « Enfants sans baptême ».

À l’angélus et aux sacrements s’ajoutent les « Bonnes Puissances » du chapitre suivant. Ce sont les saints, ce sont les anges, c’est Notre-Dame. Saints de La Légende dorée, saints de France, saints des campagnes, saints de la Toussaint : c’est une grande partie de l’œuvre de Pourrat. Dans les contes, ils sont chez eux, car ils sont chez nous, de notre race pour parler comme Péguy.

Et au-dessus des saints et des anges, il y a Notre-Dame, avec « Le clerc Théophile » ou « Le Jongleur de Notre-Dame » (dans le conte il se nomme le Péquelé), ou tout proches de nous avec « La Mongette » ou « La bergère muette ».

Les contes sont à l’image de ce monde : il y a le mal, il y a le bien, tant de mal pour si peu de bien. L’œuvre d’Henri Pourrat pose ce qu’il appelle « la grande question ». Quel est le sens profond de tout ce qui existe ? Il n’est pas philosophe. Ni théologien. Il est homme de vision, qui naît de l’observation de la nature. Il voit qu’en elle tout monte, du minéral au végétal, du végétal à l’animal, de l’animal à l’homme – à l’âme. Que tout remonte : il y a eu la chute, mais la Création est restée fidèle. Elle donne l’exemple : des trois règnes elle se hausse vers le Règne. Et Pourrat voit aussi que l’homme qui suit le mieux cet exemple c’est le paysan, parce qu’il n’a pas rompu avec elle, qu’il la sert dans l’effort et la confiance, et qu’ainsi il monte avec elle.

Une seule citation parmi beaucoup d’autres : « Car, oui, pour du vrai bon monde de campagne, il n’y a de fierté ni d’aise plus grandes que de tirer de peine qui l’on trouve dans la peine. Être chrétien, c’est cela : rien n’est plus beau sur terre. » En est-il des signes particuliers dans Le Trésor ? Bernard Plessy en voit deux. D’abord la notion de « haute chrétienté » – qui n’est pas nostalgie d’une époque historique plus ou moins mythique, mais l’expression de la vie chrétienne quand elle touche à la perfection. Et les « grandes mœurs » qui en sont le fruit, aussi bien chez les petites gens que dans les grands domaines : que l’on songe aux « Escures d’Anne-Marie Grange ».

Voilà donc la révélation. Nous cherchions à louvoyer d’un terme à l’autre de l’apparente contradiction. Le secret, c’est de monter de l’un à l’autre. Beaucoup de contes sont loin d’être chrétiens, la plupart ne le sont pas tellement. Quelques-uns le sont pleinement. Élisabeth Leseur dit que toute âme qui s’élève élève le monde. Reprenons son mot : tout conte qui s’élève élève Le Trésor. Les contes sont bien « un monde de sang ». Mais il suffit qu’en un seul d’entre eux monte une âme de lumière pour que ce monde s’illumine de grâce.

C’est une lecture. Ainsi résumée, elle est ingrate, car son agrément vient des innombrables exemples qui donnent envie d’aller les retrouver dans les contes d’où ils sont tirés – et de savoir la suite ! Il est d’autres lectures possibles. Les contes sont inépuisables. C’est, dit Pourrat, « la vie à mille chapitres de tout le vieux peuple d’Occident ».