Il me semble, depuis le début de la grave crise sociale que nous vivons, avoir fait part d’un double souci : à la fois rendre compte des racines de la crise, en montrant qu’elles sont profondes et qu’il y a lieu de les prendre très au sérieux, mais aussi m’inquiéter de la capacité de l’État à prendre en charge cette crise. La distance critique que je m’impose en cherchant à garder mon entière liberté de jugement, sans céder aux passions partisanes, n’est ainsi pas exempte de convictions qui concernent le bien commun. Aussi, me suis-je toujours inquiété des dérapages violents et haineux d’un mouvement dont je défendais souvent la cause, et aussi de la légitimité d’un État qu’il fallait défendre contre un jusqu’au-boutisme qui m’apparaissait dangereux.
Force est donc d’inciter les Gilets jaunes à être raisonnables, ce qui ne veut pas dire timorés. Raisonnables, cela veut dire aptes à entrer dans une discussion rationnelle qui ne peut se priver de structures institutionnelles. L’appel à une démocratie directe sans structures reconnues ne peut mener qu’à une anarchie improductive, et au terme, à l’échec amer de ce qui aurait pu être une véritable promesse. Par référence aux années de plomb italiennes, je me félicitais hier de l’éclipse des idéologies totalitaires qui empêche le mouvement des Gilets jaunes de suivre les voies dangereuses de la radicalité révolutionnaire. Mais il faut bien trouver des solutions qui passent par une discussion organisée.
On peut trouver tous les défauts du monde au grand débat national proposé par Emmanuel Macron. Mais refuser par principe de s’y associer, ou simplement de lui laisser sa chance, me paraît plutôt irresponsable. La première séance, qui a réuni hier en Normandie des centaines de maires locaux autour du président était quand même impressionnante. C’était un exercice très nouveau que cette confrontation en direct où les représentants d’un territoire donné s’exprimaient avec le plus grand respect mais aussi la plus grande franchise, justifiant par bien des aspects la révolte de leurs concitoyens mais avançant en toute responsabilité des solutions propres à remédier à leurs difficultés. Je ne sais si l’expérience sera finalement concluante, mais le bien commun commande d’aider au moins à son élaboration.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 16 janvier 2019.
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