Le trop-plein a été atteint au deuxième semestre de l’an de disgrâce 2018 avec, de la part du gouvernement, l’accumulation de mesures impopulaires, de taxes excessives et de phrases maladroites… En première ligne de la fronde, il y a eu « ceux qui fument des clopes et qui roulent au diesel », pour citer Benjamin Griveaux, le porte-parole de Macron, peu en phase avec la « France périphérique » irritée…
Parmi les gouttes qui ont fait déborder le vase des carburants coûteux alimentant le mécontentement croissant des automobilistes, il y a eu la limitation des 80 km/h sur 400000 kilomètres à travers ladite France, une limitation assortie d’une multiplication supplémentaire du nombre des radars : son initiateur, le Premier ministre Édouard Philippe, avait pourtant deviné qu’il en tirerait une certaine « impopularité »… Il a été servi bien au-delà de ses suppositions…
À cela s’ajoutaient les hausses de prix du litre de carburant et l’augmentation effrénée du tarif des péages des autoroutes… Le raz-de-marée des « Gilets jaunes » a brusquement jailli sur tous les ronds-points de France et de Navarre, avant de déferler à Paris, sur la rive droite de la Seine, jusque sur les Champs-Élysées…
Habillés de la couleur des œufs cassés, la moutarde leur montant au nez, les Gilets jaunes, pour la plupart, ont vite été gagnés par une colère noire. Dans un premier temps, le gouvernement refusait de céder le moindre centime sur le moindre litre de carburant : cela n’a pas peu contribué à attiser ce ressentiment populaire, et à envenimer les choses, jusqu’à la vindicte actuelle contre Macron. C’est alors que la violence a éclaté, tant à Paris que dans plusieurs grandes villes, et même au-delà.
Autre phénomène, beaucoup plus préoccupant : longtemps apolitique et seulement socio-économique, le mouvement de fronde des « Gilets jaunes » a été peu à peu encouragé, épaulé, encadré puis, très probablement, infiltré çà et là par des organisations politiques extrémistes, rêvant, à l’Ultra-Gauche d’un « Grand soir » pour un nouveau prolétariat, et à l’Ultra-Droite d’un coup de force antirépublicain… Vers des lendemains qui pourraient bien déchanter…
Des esprits échauffés ont réclamé la démission d’Emmanuel Macron, comme si on pouvait refaire un scrutin électoral dans la rue… Des individus délicats sont allés jusqu’à mimer une décapitation du jeune président devenu bouc émissaire, en poussant le souci du détail jusqu’à utiliser du sang d’animal… D’autres veulent donner des rendez-vous hasardeux tous les samedis à des manifestants dont on ne sait plus exactement ce qu’ils veulent… Sinon, pour certains, faire du passé table rase, en une bonne révolution nihiliste… Car rien ne garantit que des casseurs et des émeutiers ne vont pas se glisser parmi eux, comme on l’a déjà vu.
Du côté du gouvernement, on propose un grand débat national, autour de grands thèmes de réforme. Du côté des principaux partis d’opposition, dans un climat de fièvre, d’irréflexion ou de surenchère démagogique, les propositions constructives tardent à venir… Quant à la voix des syndicats, elle est, soit affaiblie, soit discréditée, soit acquise aux extrêmes… Restent les maires de France, que le gouvernement d’Emmanuel Macron a eu longtemps le tort de tenir à l’écart de sa politique…
Il est donc urgent qu’au lieu d’entretenir une de ces guerres franco-françaises dont notre pays a le redoutable secret, les Français se reparlent, sans se suspecter à l’avance des plus noires intentions : certains le font déjà sur les ronds-points, certes en petit comité… Pourquoi pas le faire sur des tables rondes, d’une façon élargie, plus durable et plus féconde ?
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Photo : © François Goglins