Ma religion dit que la colère est un péché. C’est un des péchés capitaux qui nous diminue ; il nous réduit jusqu’à extinction. Mais nous sommes assez aristotéliciens pour reconnaître qu’il y a des circonstances où la colère est opportune. Beaucoup moins cependant que ce que, pécheurs que nous sommes, nous voudrions imaginer.
L’homme qui est sans cesse en était de colère – j’en connais plusieurs, et je m’en accuse quelque fois – a sûrement dépassé la mesure. C’est comme si nous étions torturés par des ennemis, et hurlions notre souffrance, perpétuellement. Ayant goûté à cela sur la terre, je ne souhaiterais pas en avoir le suivi en enfer, où (j’admets que c’est une spéculation théologique) tous les habitants sont sans humour et où chacun a quelque chose à reprocher à chacun.
Sauf que, le plaisir qu’il y a à se lamenter sur son sort, le désespoir l’a probablement fait disparaître.
C’est à partir d’un tel raisonnement que j’ai déduit que la colère est un cran au-dessus du désespoir volontaire qui habituellement finit par un suicide. Mais je suis sûr que les deux sont liés car j’ai observé que l’un se transforme en l’autre, ou je pense que c’est ce que j’ai vu chez plus d’un ami ex-chrétien, maintenant défunt.
L’orgueil peut aussi être pris en compte dans ce tourbillon. La « victime » comme nous dirions aujourd’hui – en fait le contraire absolu d’une victime – a recours à ses propres expédients. S’étant fait juge de tout, il se fait lui-même seul critère de la justice. Cela ne marche pas, pour personne.
On a dit que l’orgueil précède la chute, mais cela ne s’applique qu’à ceux qui, chanceux, veulent voir ce sur quoi ils ont trébuché. Le remède est de prendre une bonne dose d’Humilité, ce que les voisins peuvent bien être disposés à fournir, que leurs propres motifs soient ou non malsains.
Il y a un point qui m’a aidé un jour à distinguer le christianisme de ses concurrents immédiats. L’Humiliation est une chose qui est arrivée au Christ – vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé. Il en a pris volontairement la décision pour Lui-même et non pour un crime qu’Il aurait commis. A l’Avent nous pensons déjà, au-delà de Noël, à ce qui a été appelé fort justement « le Vendredi Saint ».
Comparez cela à nos petites humiliations : les « réactions » de notre violence contre « les choses ». Car une chose singulière à propos du Christ, Lui réellement crucifié, c’est qu’il n’a eu aucune réaction.
L’aimable lecteur s’étouffe-t-il d’indignation à la pensée que « les Juifs », les « Romains » ou qui vous voulez, ont fait cela à Notre Seigneur ? Mais nous l’avons tous fait, et dans ce mystère du mal qui ressemble à de l’Agatha Christie, personne n’échappe. Ou alors nous tous affirmons que le pardon est possible, grâce à l’intercession du même Seigneur, et son acte cosmique d’Expiation.
Et ici je suis bien loin de transmettre le Miracle qui chaque Noël arrive pour être représenté à nouveau. Même au niveau de la « raison pure », cette théologie bouleverse le monde et la possibilité véritable du Salut est présentée.
Sans le Christ, nous ne sommes que des animaux. Et nous pouvons bien être en colère, cela n’a pas d’effet : sauf dans le sens que la vengeance engendre la vengeance. Et cela n’a pas non plus d’effet, avec Lui. L’absurdité de la rage a été exposée. Il n’est pas étonnant que le démon ait pour stratégie de garder le Christ hors de vue.
J’ai écrit tout cela en réponse à un essai qu’on m’a envoyé, essai du populaire écrivain Lance Morrow. C’était dans le Wall Street Journal et il affirmait – de façon plausible – que les Américains sont devenus addicts à la violence. Je pense que nous pouvons devenir aussi mauvais que les Européens à cet égard – et eux ont fait éclater des Guerres Mondiales.
Ce qui m’est resté de cet essai est l’affirmation de Morrow que nous sommes en train de traverser nos « Terribles Deux ans ». Quand j’ai décidé récemment d’arrêter de lire les « principaux media », y compris le Wall Street journal, je me suis senti poussé par le spectacle d’un monde entier de gens « âgés de deux ans », y compris présidents, premiers ministres et évêques.
Comment remédier à cette condition ? Car couper sa ration de nouvelles ne peut être qu’un commencement. L’information continue à se répandre par osmose.
Etrangement la réponse pourrait être de « grandir ». Les gens que nous méprisons – individuellement et génériquement – peuvent bien être pires que nous le sommes. Il y a des moments où je pense que cela peut être réellement vrai et je ne peux utiliser « l’invincible ignorance » pour les excuser. Mais pourtant ce sont les péchés eux-mêmes qui devraient nous indigner : la justice pour ceux qui les commettent devrait être sereine.
C’est-à-dire, s’il existe une chose qui s’appelle Justice, ce qui n’existe pas une fois qu’on a refusé Dieu, car il n’y a alors aucun fondement sur lequel la justice puisse être fondée, sauf nos « sentiments », gouvernés, comme M. Morrow le suggère, par une violence continuelle, qui diffère dans les détails de « l’indignation vertueuse » qui elle-même ne peut être conçue que comme « pharisaïque ».
Une partie de la croissance, selon moi, doit être de remplacer notre violence par Jésus. Je le formule ainsi avec un certain sarcasme. Au mépris de la psychologie ordinaire, notre violence et notre cynisme forment une même bile.
Même dans ce qu’on appelle notre bonne conscience (un moment de réflexion intelligente dissiperait les fausses vertus) nous reconnaissons des attentes extrêmement basses. Si basses que si nos ennemis s’améliorent – répondant à nos critiques en se corrigeant – notre attaque continuerait. Car ce qu’ils ont cessé de faire était seulement une petite chose. Il y a davantage d’accusations ; il y en a des pages.
Parmi les choses les plus inspirantes que j’aie vues, il y a eu le jardin planté par de jeunes volontaires allemands dans les ruines de la vieille cathédrale de Coventry, démolie par la Luftwaffe pendant la dernière guerre. Les fleurs étaient très belles, mais ce qui fixa mon attention, c’étaient les lettres de bronze placées dans le peu qui restait du mur du sanctuaire.
Cela disait, en capitales : « FATHER FORGIVE » (« Père pardonne »)
Ils ne s’occupaient pas de préciser qui avait le plus besoin de pardon. Aucune violence n’était exprimée. Le contexte était suffisant pour tout expliquer.
Vendredi 7 décembre 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/07/outrage/
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David Warren est un ancien rédacteur du Idler magazine et journaliste au Canadian newspapers. Il a une grande expérience du Proche et de l’Extrême Orient. Son blog, Essays in Idleness, peut être trouvé sur davidwarrenonline.com.