Saint Jean-Paul II a parlé à plusieurs reprises de “la dignité de la personne humaine”, et une bonne part de son enseignement moral était fondée sur ce concept de base. Quelques philosophes ont trouvé le concept de « dignité » « mal défini ». N’est-ce pas violation de la dignité humaine de laisser quelqu’un souffrir d’Alzheimer ? Non, mais c’est ce que certaines personnes pensent. Les gens conservent-ils leur dignité s’ils commettent de graves péchés ? En un sens oui, et en un autre, non. Ce sont des problèmes complexes, et le simple fait de dire « dignité humaine » ne les résout pas.
Et pourtant considérez un moment une question plus profonde. Dans l’enquête approfondie du sociologue Christian Smith sur « les adultes émergeants » (18 à 24 ans), 60% disent que la morale est un choix personnel, entièrement matière de décision individuelle. 47% des « adultes émergeants » américains sont d’accord pour dire que « la morale est relative, qu’il n’y a pas de définition du bien et du mal valable pour tous. »
La plupart des professeurs qui ont entrepris d’enseigner la philosophie “morale” ou l’”éthique” dans un secteur ou un autre, que ce soit les affaires, le droit ou la médecine, se rendent rapidement compte qu’ils doivent d’abord dépasser le relativisme moral implicite de leurs étudiants et les convaincre de prendre les jugements “moraux” au sérieux comme quelque chose qu’on peut faire ou bien ou mal.
Considérez combien il serait difficile d’enseigner aux étudiants le calcul intégral si la plupart pensaient que quelle que soit la réponse obtenue c’était toujours la bonne – qu’il n’y avait pas de “meilleures” ou de “plus mauvaises” réponses, simplement “votre” réponse et “ma” réponse. Qui prendrait le risque de s’embarrasser de ces difficiles formules ? Vous n’avez qu’à passer là-dessus, écrire 2xdx et vous êtes aussi bon qu’Einstein.
Ainsi, pourquoi se lancer dans un dilemme moral difficile si le type qui dit : « Bon, lancez la bombe atomique sur cette ville » a aussi raison que la femme qui dit : « Vous ne pouvez pas faire cela, c’est abominable. »
Vous devez amener vos étudiants à respecter une discipline de recherche et la prendre au sérieux avant de pouvoir les introduire à une de ses questions plus complexes.
Les réponses de mes étudiants coïncident avec les données de Christian Smith. Ce sont de bons enfants, généralement brillants, et ils ne penseraient jamais à faire du mal à autrui. Mais leur éducation en a laissé la plupart avec l’idée que les « morales » sont relatives et qu’il n’y a pas grand ’chose d’utile à dire à ce sujet.
Essayer de “leur enseigner la morale” en exposant « les règles » est comme essayer de leur enseigner le calcul en leur donnant simplement les réponses à la fin du livre. Recopier la bonne réponse dans le livre n’est pas la même chose que « comprendre le calcul ».
On ne sait pas bien si cela serait utile d’essayer de leur enseigner le calcul en disant : « Il existe actuellement deux grandes méthodes pour faire le calcul, l’utilitaire et la déontologique, et souvent elles vous donnent des résultats complètement différents. Je vais vous enseigner les deux et vous laisser décider. »
C’est là qu’intervient Jean-Paul II. Quand j’utilise le langage de « la morale », mes étudiants sont des relativistes auto-proclamés. Quand je leur demande s’ils veulent être traités avec dignité, ils disent oui, bien sûr, toute personne devrait être traitée avec dignité et respect. Je demande alors : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » Qu’est-ce que cela entraîne ? » Il arrive que quelqu’un vienne dire : « Vous voulez être traité comme une personne, non comme un objet ou un nombre ou une chose potentiellement à vendre. » Donc traiter comme des personnes implique certaines obligations ? Est-ce qu’il y a des choses qu’il faut qu’on fasse si on doit traiter les autres comme des personnes ? »
Cela leur semble très clair. Vous ne devez pas rabaisser les personnes ou les regarder de haut. Vous ne devez pas être cruel ou leur causer du tort, que ce soit physiquement ou émotionnellement. Vous devez être honnête, attentif, compatissant, prévenant.
La liste peut vraiment s’allonger. Vous devez respecter physiquement les personnes. Vous devez les écouter et respecter leurs pensées et leurs opinions. Quand nous explorons plus profondément la nature et le caractère des « personnes » – corps, émotions, intelligence, esprit – ils sont disposés à admettre toute une liste de façons d’agir envers les personnes. Pour une grande partie, cela se ramène à réaliser la manière dont ils aimeraient être traités. Mais quand je leur demande s’ils traitent toujours les autres « comme des personnes », ils admettent tous que non. Ils se rendent compte qu’ils ne se sont pas montrés à la hauteur de leurs propres attentes – non les miennes, non celles de l’Eglise, on celles de la société, mais les leurs propres.
« Que diriez-vous si, ce que nous appelons « traiter les gens comme des personnes », je l’appelais « être moral » ? Et traiter les gens de la façon dont vous dites qu’on ne devrait pas les traiter, « être immoral » ? Voudriez-vous encore vous déclarer vous-même « relativistes en morale » ? Seriez-vous à l’aise avec une société où les gens seraient « des relativistes moraux » – une société remplie de gens qui ne cherchent pas assez, quand il s’agit des autres, à comprendre ce que signifie les traiter comme personnes ? »
Il y a presque unanimité pour reconnaître qu’une telle société serait réellement une très mauvaise chose.
« Alors pourquoi tant de gens sont-ils relativistes en morale ? » demandais-je. « Parce qu’ils sont stupides » dit un étudiant. Non, ce n’est pas cela. Sérieusement, ce n’est pas cela. Mes étudiants sont brillants et intelligents et pour la plupart gentils. Alors pourquoi se déclarent-ils « relativistes en morale » ?
Quelles terribles connotations doivent, pour eux, être attachées au mot de « morale » ? Peut-être que le problème a quelque rapport avec la manière dont pendant des années on a dit « être moral ». Si c’est cela, nous n’avons qu’à utiliser un autre mot.
Cela ne veut pas dire adopter le langage des moins de treize ans comme s’ils avaient des concepts meilleurs, plus clairs, comme si nous pouvions dire : « Voyez, les enfants, je ne vous dis pas que vous devriez être moral ; non, simplement soyez cool. Ce serait réellement pire, bien pire. Mais il nous faut clarifier le langage si nous trouvons que le langage que nous avons utilisé transmet en réalité un sens faux.
Dieu fasse que les mêmes confusions et les mauvaises connotations n’entourent pas le concept d’ « être chrétien » comme il entoure l’expression « être moral » à cause de la manière imprudente et légère dont les gens ont employé ce terme pendant des années. Cela expliquerait pourtant bien des choses.
Mercredi 7 novembre 2018
https://www.thecatholicthing.org/2018/11/07/after-morality/
Randall B. Smith est professeur de théologie à l’Université Saint-Thomas de Houston. Son livre le plus récent Reading the Sermons of Thomas Aquinas: A Beginner’s Guide, est maintenant disponible à Amazon et à Emmaus Academic Press.
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